Archive pour la catégorie ‘XIXe siècle’

St Philippe et le naufrage du Warren Hastings

 

 

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 Maquette du Warren Hastings

L’histoire maritime de Saint-Philippe est surtout marquée par le naufrage du Warren Hastings, en 1897. Les habitants du village ont alors fait preuve d’un sang froid et d’une hospitalité exceptionnels qui ont permis de sauver 1262 passagers.

L’ océan indomptable vient se briser sur les falaises abruptes de la commune de Saint-Philippe. Le village possède un des plus anciens ports de Marine de la côte Sud. Cet espace réservé à l’activité maritime est visible depuis la route. La mer mouvementée ne permet pas un accostage facile. Aussi, les pêcheurs profitent de la houle pour sortir ou pour rentrer à bon port. A l’époque, les habitants ramenaient les produits de leurs pêches dans des embarcations taillées dans des troncs d’arbres évidés (Lhuillier 1703).

Entre le Baril et le village de Saint Philippe, il reste quelques vestiges de la rampe de hallage tranchée dans les pierres basaltiques se jetant dans la mer vers l’Ouest. Les points d’attache du treuil, utilisé pour soulever les marchandises trop lourdes pour l’homme, sont encore visibles.

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le petit port de St Philippe

Dans la nuit du 13 au 14 janvier 1897, le Warren Hastings venant du Cap, se présente au large de la pointe de la Table. Ce vapeur transporte des troupes anglaises à Maurice puis en Inde. Depuis quelques heures, le navire connait des anomalies au niveau de ses appareils de navigation. Entre 2h00 et 3h00 du matin, il fait nuit noire, il pleut à torrent, le commandant Holland et ses hommes de veille ne voient rien à moins de dix mètres. Soudain, le compas magnétique s’affole. L’éruption du piton de la Fournaise y serait-elle pour quelque chose ? Nul ne peut le dire. Trop près des côtes, le vapeur vient s’échouer sur un récif. Il touche par l’avant et s’élance encore d’une cinquantaine de mètres avant de s’immobiliser complètement. La proue en l’air et la poupe sous plusieurs mètres d’eau.

Le choc contre les récifs réveille les habitants de Saint-Philippe. Ils entendent une énorme détonation, comme un coup de canon ou plutôt de tonnerre. Fanal à la main, ils s’avancent vers la mer et découvrent l’énorme masse du steamer anglais dont le pont est éclairé (électricité). Surpris tout d’abord par l’immense masse qui leur fait face. Ils agitent leurs lampes et un son de clairon leur répond depuis le navire. Par chance le Warren Hastings, (du nom du Premier gouverneur général de l’Inde, (1732-1818)), s’est échoué au seul endroit accessible par les pêcheurs.

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La côte de St Philippe

Voyant qu’il se trouvait tout près de la côte, le Commandant Holland fait mettre des chaloupes à l’eau, mais les vagues violentes et le vent du Sud ne facilitent pas le débarquement des passagers. Le bateau est agité et risque de se casser en deux. Un premier contingent de soldats est débarqué. Holland espère tenir jusqu’au lever du jour, mais les assauts de la mer déchainée font tanguer le vapeur qui se remplit d’eau. Alors que le jour pointe, des cordages et des voiles sont placés jusqu’à la falaise. Depuis la terre, les pêcheurs se sont approchés et participent au sauvetage. En 30 minutes, dans un calme parfait descendent, les femmes et les enfants d’abord, puis les malades, les hommes, les militaires et enfin le capitaine. Dans l’eau, les naufragés se tiennent aux cordages et sont guidés jusqu’aux rochers à proximité. Ce naufrage fait deux morts, qui sautent à la mer en espérant gagner la côte à la nage, ils sont emportés par les eaux.

Les naufragés sont accueillis par les habitants de Saint-Philippe. Les hébergements s’organisent dans toutes les maisons, les salles municipales, les anciens logements des engagés. La nourriture arrive par charrettes entières. Les habitants de Saint-Philippe font preuve d’un sens de l’hospitalité hors du commun. En une heure, la petite commune contient 1.262 habitants supplémentaires. Les soldats qui n’ont pas trouvé d’hébergement vont à pied et s’écroulent parfois de fatigue dans des fourrés environnants. Alors, le maire fait appel à la commune voisine, Saint-Joseph et demande de l’aide à Saint-Denis par télégramme.

Trois jours plus tard, les sinistrés du Warren Hastings sont transportés par trains spéciaux jusqu’à la Pointe des galets. Ils quittent La Réunion, le 17 janvier, pour l’Angleterre sur le vapeur anglais Lalpoora. Dans son rapport à sa hiérarchie, le commandant Holland souligne et salue le caractère désintéressé et aimable de la population. La Reine Victoria remerciera les habitants de l’île pour leur hospitalité. L’épave du Warren Hastings repose par 15 m de fond au large des côtes de Saint-Philippe, occupé aujourd’hui par des colonies de poissons et de coraux.

Sabine Thirel

Histoire du ti-train lontan

La construction d’un chemin de fer, moyen de transport en commun de personnes et de marchandises, s’impose à La Réunion du XIXe siècle. En effet son économie, essentiellement basée sur la production de canne à sucre, demande de nouveaux moyens de communication. Le sucre est jusqu’alors acheminé par des moyens archaïques à dos d’hommes, par charrettes et bêtes de trait, par les chaloupes des marines installées tout autour de l’île.

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un relief accidenté…

 

Plusieurs gouverneurs comme Vauboulon et Henri Hubert Delisle et des élus s’intéressent au chemin de fer dès 1858, puis 1865 mais les projets jugés trop onéreux, sont abandonnés. En 1872, Pallu de Labarrière et Lavalley qui a travaillé sur le chantier du Canal de Suez, prennent le relais. Les négociations et les accords avec le Conseil général et les Conseils municipaux durent 5 ans.

En 1878, La Réunion est toujours privée de port et de voies de communication suffisantes. Cette situation n’avantage pas le développement économique de l’île. Le Port de Saint-Pierre commencé depuis 1851, n’est pas encore livré et ne sera jamais adapté aux nouveaux navires à vapeur à fort tonnage qui veulent accoster à La Réunion. L’île connait une crise économique et ne peut s’en sortir qu’en exportant ses productions.
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La construction de ce moyen de communication présente de grandes difficultés dues au relief particulièrement accidenté de l’île, d’autant que les exploitations et les usines sucrières sont réparties sur toute l’île. Les chantiers du chemin de fer de Saint-Pierre à Saint-Benoît, couplé avec celui du port de la Rivière des Galets, sont déclarés d’utilité publique le 19 août 1876. La constitution de La Compagnie du Chemin de Fer et du Port de La Réunion (CPR) est établie le 28 février 1878. Les travaux commencent alors. M. Blondel ingénieur dirige les travaux, les ingénieurs marquent le trajet, de Saint-Benoît à Saint-Pierre, la construction du port et du chemin de fer bénéficie de concessions gratuites, pour 99 ans, à prendre sur les terrains des pas géométriques, réserves du domaine publique.

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Il longe le littoral, passe sous la Montagne par un tunnel de 12 kilomètres sous le Cap de la Marianne (3 m de large), surplombe, la Rivière des Galets, l’étang de Saint-Paul, la Petite Ravine, la Grande Ravine, la Ravine des Colimaçons dont nous pouvons encore voir l’ouvrage d’art, la Rivière Saint-Etienne (le plus long 520 m) et la Ravine des Cabris à Saint-Pierre. Vers l’est, le chemin de fer passe sur la Rivière des pluies, la Ravine des Chèvres, la rivière du Mât, la Rivière des Roches, et par un tunnel sous le Phare de Sainte-Suzanne. Le trajet total est de 126 km.

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un viaduc

La main-d’œuvre nécessaire à ces travaux gigantesques est de 15000 ouvriers créoles et des mineurs et artificiers italiens du Piémont spécialement engagés. Ces hommes travaillent jours et nuits. En plus des gares, des quais de voyageurs, des voies de garage et d’évitement , des leviers d’aiguillages, et des logements de chefs de gare,… les viaducs de pierres, les ponts métalliques et en maçonnerie, les aqueducs et tunnels entrecoupées de lignes droites ou courbes se succèdent. Les rails croisent souvent les voies de circulation existantes. En ville, le chef de gare précède le train, drapeau à la main pour signaler le danger.

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Locomotive et gare de la Grande Chaloupe

Un mètre sépare les deux rails alors qu’en France la distance est de 1,44m. Même si cette particularité du Chemin de fer local, limite le développement du train qui restera un petit train, le transport des marchandises et des récoltes gagnent en rapidité et en tonnages de plus en plus importants. La locomotive roule à une vitesse moyenne de 18 km/heure, elle peut pousser des pointes de vitesse à 28 km/h. Les déraillements réguliers dûs à l’étroitesse de ses rails et aux courbes trop brusques, ainsi que les visages recouverts de suie à la sortie des tunnels deviennent une part folklorique des voyages en « ti-train ».

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Entrepôt et gare de St-Denis

Le trajet de la Possession à Saint-Denis passant par le tunnel, percé de trous d’aération, est inauguré le 9 août 1881. Fin 1881, les gares de Saint-Leu et de Saint-Paul voient arriver la locomotive. Les Entrepôts et magasins des marines poursuivent leurs rôles pendant la période du « ti-train » qui amené par une locomotive à vapeur Schneider ou de type « Creusot » désenclave les écarts de l’île et permet de rejoindre Saint-Benoît à Saint-Pierre en 4 heures.

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Gare de Ste-Suzanne

Treize gares marquent l’itinéraire du chemin de Fer Réunionnais, un arrêt par ville au minimum de Saint-Benoît à Saint-Pierre, avec des haltes intermédiaires selon l’étendue géographique de la commune. L’inauguration par le gouverneur Pierre Etienne Cuinier se fait sur 2 jours, le 11 février 1882 pour la partie est de Saint-Denis à Saint-Benoît, et le lendemain le 12 février, pour la partie ouest jusqu’à Saint-Louis, le tronçon Saint-Louis – Saint Pierre, non terminé, est prévu quelques mois plus tard.

Ainsi, 4 ans de travaux (1878-1882) ont été nécessaires pour la mise en place de ce moyen de transport révolutionnaire. Son coût important de 9 millions de francs était en rapport direct avec la géographie particulière de l’île, 3 millions ont été utilisés uniquement pour le tunnel de la Montagne. Pendant 80 ans, il servira l’île et sera incontournable. Cependant, au fil des années, devenu vétuste, le tronçon ouest est fermé en 1957. La fermeture du tronçon Saint-Denis-Saint-Benoît est simultanée à la livraison de la Route du Littoral en 1963. Ce n’est qu’en 1976 que la liaison Saint-Denis-la Possession par les 11 km de tunnel est à son tour supprimée.

Sabine THIREL

Source : « Le petit train longtemps » par Éric Boulogne.

Juliette DODU, héroïne ou espionne ?

 

Héroïne de la guerre Franco-prussienne de 1870, accusée d’espionnage par l’ennemi, Juliette Dodu est condamnée à mort.

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Maison de naissance de Juliette Dodu

Juliette Dodu née à Saint-Denis de la Réunion le 15 juin 1848, est la fille d’un chirurgien métropolitain (Alphonse Dodu) officiant dans la marine et d’une créole née Desaïffre de Pellegrin. Deux ans après sa naissance, son père meurt de la fièvre jaune. Sa mère se remarie et donne naissance à deux autres enfants. En 1864, Juliette a seize ans lorsqu’elle quitte la Réunion pour la France avec sa famille . Mme Dodu, devenue veuve à nouveau, obtient, grâce au soutien de l’impératrice Eugénie, la direction d’un bureau télégraphique à Pithiviers.

En 1870, la guerre franco-prussienne (1870 – 1873) oppose la France du Second Empire aux Allemands assemblés derrière le royaume de Prusse. Après avoir occupé les régions françaises de l’est et du nord, les Prussiens arrivent dans le Loiret et à Pithiviers le 20 septembre 1870.

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Juliette Dodu par Christine Lao-Yip-Sein in La Réunion des grands hommes -M.Serviable

Les locaux du bureau du télégraphe sont immédiatement occupés par l’ennemi et les fils coupés. La famille Dodu est repoussée au premier étage de la maison. Les fils du télégraphe passent par une des chambres et Juliette y installe une dérivation, connecte au réseau un récepteur qu’elle avait conservé et rétablit une liaison en morse. Ainsi elle a accès à tous les messages télégraphiques de l’ennemi qu’elle transmet intégralement aux forces françaises. Elle les informe également des faits et gestes des soldats prussiens dans Pithiviers. C’est de cette manière que 40 000 soldats du général Aurelles de de Paladines en faction aux environs d’Orléans, ne tombent pas dans les pièges ennemis.
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maison de naissance de Juliette DODU

Usant de son charme, elle aguiche les hussards qui ne se doutent de rien et se fait des relations au sein de leur état-major. Ce petit jeu dure 23 nuits jusqu’au moment où au cours d’une dispute avec sa gouvernante, un occupant comprend ce que se disent les deux femmes.

Le stratagème de Juliette est découvert. Le récepteur télégraphique est confisqué.

Accusée d’espionnage, conduite devant une cour martiale. Juliette Dodu leur lance alors :  » Je suis Française et ma mère aussi, j’ai agi pour mon pays. Messieurs, faites de moi ce que vous voudrez « . Elle est condamnée à la peine de mort. Heureusement, quelques jours plus tard, l’armistice est signé et elle est graciée par le Prince Frédéric-Charles de Prusse.

Symbole de la résistance française, Juliette Dodu est la première femme à obtenir la médaille militaire et la croix de la Légion d’Honneur à titre militaire. Le président Mac Mahon signe le décret du 30 juillet 1878 où il est stipulé :  » a intercepté des dépêches au péril de sa vie en 1870, a été condamnée à mort par l’ennemi et sauvée par la cessation des hostilités « .

En 1880, elle devient inspectrice des écoles et des salles d’asile et s’installe en Suisse Juliette meurt le 28 octobre1909 chez son beau-frère, le peintre Odilon Redon. Son corps, ramené en France, est exposé au Val de Grâce. Elle reçoit des funérailles nationales.
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Plaque de la maison de J.Dodu

Cependant les voix s’élèvent et plusieurs questions se posent.
Pour ses détracteurs, Juliette n’a jamais rien intercepté au péril de sa vie. Il y a eu erreur sur la personne, puisqu’elle n’a pas été receveuse des postes, il s’agissait sûrement de sa mère. Ils avancent que si c’était vraiment la jeune fille qui avait agi héroïquement, comment aurait-elle pu comprendre les messages en Allemands et les traduire, sans avoir fait d’études. De plus, aucun rapport militaire ne cite le sauvetage de 40 000 soldats où que ce soitl. D’autres avancent qu’elle aurait été la maîtresse du Prince Frédéric-Charles de Prusse et qu’elle aurait collaboré avec l’ennemi et même, qu’elle aurait été un agent double.

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Lycée de Jeunes filles devenu collège en 1970

On parle aussi de l’honneur de la France qui a subit une cuisante défaite lors de cette guerre de 1870, la honte de la débâcle et la perte de l’Alsace-Lorraine. M. de Villemessant, journaliste, protecteur de Juliette et intime de Mac Mahon et de Gambetta, aurait monté une escroquerie journalistique. Le pays avait besoin d’une héroïne pour conserver son nationalisme et l’esprit patriotique intact.

Dans l’affaire Juliette Dodu, à ce jour le problème reste entier. De nombreuses prises de position contre sa personne, la traitant de Jeanne D’arc ou de Mata Hari, ont longtemps secoué l’opinion publique pendant une grande partie du XXe siècle.
A Saint-Denis, une rue et un lycée de fille devenu collège porte son nom.

L’apogée de l’industrie sucrière au XIXe siècle avec Mme Desbassayns

A l’île Bourbon, la culture de la canne à sucre débute en même temps que la colonisation. Le sucre et l’alcool de canne sont extraits manuellement. Certains habitants, les pirates et les marins de passage savent où trouver l’arack ou le fangourin, ce fameux vin de canne. La fabrication du sucre se mécanise et devient inséparable de la vie des grandes « habitations ». Au début du XIXe siècle, la culture du café subit de grosses pertes à causes des cyclones successifs et des avalasses de 1806 et 1807, est progressivement remplacée par celle de la canne à sucre, plus résistante aux intempéries. Cette nouvelle culture demande une main-d’œuvre abondante qui est fournie par l’esclavage jusqu’à son abolition. L’économie de l’île tend vers la monoculture de canne à sucre.

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Vestiges cheminée et usine Desbassyns St-Gilles-les-hauts

La maison de Villèle représente encore aujourd’hui, la vie dans une Habitation coloniale à l’époque de l’esclavage avec sa maison, ses dépendances, ses champs, son moulin à sucre et ses camps d’esclaves. En plus de l’architecture coloniale, l’implantation des dépendances et de l’usine, ce lieu a connu comme maîtresse la célèbre Madame Desbassayns.

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Maison principale Desbassyns -Musée de Villèle

Propriétaire de 3 domaines à Saint-Paul, Chaussée Royale, St-Gilles-les-Hauts, et Bernica, M. Panon-Desbassayns est souvent en France et à Boston où ses enfants étudient. Le surnom de Desbassayns lui vient du fait qu’il hérite des terrains traversés par la Ravine Saint-Gilles qui comporte plusieurs bassins (Cormorans, Bleu, des Aigrettes…). Bien avant la Révolution Française de 1789, les domaines et leurs 400 esclaves sont sous l’autorité de son épouse qui applique le code Noir, adapté à l’île Bourbon en 1723, à la lettre. Sa personnalité est appréciée par ses pairs reconnaissant son sens des affaires et d’hôtesse de la bourgeoisie réunionnaise et des visiteurs de passage. D’ailleurs le gouverneur Milius qui a été un de ses hôtes, la nomme « la seconde providence ».

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Mme Ombline Desbassyns

Travailleuse, volontaire et organisée, elle assure fermement la bonne marche des Habitations. C’est ce qu’elle continuera à faire en 1800 après le décès de son époux, lorsqu’elle se retrouve seule à la tête de son empire agricole. En 1829, un navire à vapeur la Cornélie, construit aux Chantiers navals du Havre, s’ajoute à la fortune des Desbassayns.

En plus des voyages à l’île Maurice et à Madagascar, la Cornélie transporte des marchandises et des passagers entre Saint-Paul et Saint-Denis.

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vestiges de l’usine du domaine Desbassyns-St-Gilles-les-hauts

Afin d’augmenter la production, elle s’entoure des meilleurs techniciens sucriers comme l’ingénieur Wetzell, ancien professeur au collège Royal de Saint-Denis. Ombline Desbassayns met l’usine de Saint-Gilles-Les-Hauts à son entière disposition, pour ses expériences et les améliorations qu’il juge nécessaires. Son objectif est développer la mécanisation de la culture de la canne et de fabriquer un sucre de qualité dans les meilleures conditions, donc à moindre coût. Entre 1830 et 1840, pionniers eux aussi en la matière, les fils Desbassayns Joseph et Charles, comme Montrose Bellier et Ferdinand Pajot, testent dans leurs moulins à sucre de La Ravine des Chèvres, de la Rivière des Pluies et du Chaudron, les ingénieux procédés de leur invention et aussi ceux de Stanislas Gimart et de Martial Wetzell. A Bourbon, la révolution industrielle est en marche.

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Maison des fils Desbassyns célibataires -Musée de Villèle

Considérée et respectée par les autres propriétaires terriens, elle ne l’est pas moins de ses esclaves. Aimée et crainte à la fois, elle ne les laisse pas indifférents. Fervente croyante, elle fait ériger la Chapelle Pointue pour sa famille et ses esclaves qu’elle espère soumettre. Mme Desbassayns sait largement récompenser les esclaves qui la servent avec dévouement mais elle sait aussi punir sévèrement ceux qui à son goût ne travaillent pas assez. C’est alors que le chabouc claque. Elle est réputée pour sa cruauté et son mépris malgré la construction du seul hôpital des esclaves de Bourbon. Lorsque l’idée de l’abolition de l’esclavage s’élève de plus en plus dans l’opinion publique et localement grâce aux « Francs-Créoles » abolitionnistes, Mme Desbassayns en rejette le principe en créant la  » Société des chevaliers ou amis du bon ordre ».

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La Chapelle Pointue

Le 4 février 1846, soit 2 ans avant l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, Mme Ombline Desbassayns décède à l’âge de 91 ans. D’abord enterrée au cimetière marin de Saint-Paul auprès de son époux, elle repose maintenant dans la Chapelle Pointue sous une plaque de marbre fendue, touchée 2 fois par la foudre. Elle laisse une empreinte inéluctable dans la mémoire collective des habitants de l’île…

La production de sucre de canne continuera à augmenter, la main-d’œuvre esclave est remplacée par les
engagés, puis par bon nombre de leurs descendants jusqu’à la fin du XXe siècle.

Sabine THIREL

Sources : Dictionnaire Biographique de la Réunion n°2, Editions CLIP,1995. L’Album de la Réunion, Antoine Roussin, 1860 à1869.Jean Barassin, La vie quotidienne des colons de l’île Bourbon à la fin du règne de Louis XIV , Saint Denis, 1989.Jean-François Géraud, Wetzell : une révolution sucrière oubliée à la Réunion, Revue historique des Mascareignes n° 1 p,113-156 AHOI/ Archives départementales de la Réunion 1998 . Sudel Fuma, Une colonie île à sucre-économie de La Réunion au XIXème siècle, La Réunion, Océan éditions,1989.

Le caveau des Anglais de Ste Suzanne

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Le Caveau des Anglais

Un espace n’existant nulle part ailleurs à La Réunion, se trouve dans le cimetière de Sainte-Suzanne : » un cimetière dans le cimetière ». Des sépultures entourées de murs blanchis à la chaux forme un caveau nommé « caveau des Anglais » par la mémoire populaire.
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Au début du XIXe siècle, les Anglais en guerre contre la France de Napoléon 1er, prennent possession de l’île Bonaparte (Bourbon). Cette prise de possession n’est pas faite aisément. On compte plusieurs morts de chaque côté. Ainsi ils occupent l’ile de 1810 à 1815. Les morts au combat et autres ressortissants anglais sont inhumés dans un caveau grandiose situé en haut de la bute de Bel Air.
Le premier cimetière de Sainte-Suzanne est implanté à l’arrière de l’église, le long de la rivière Sainte-Suzanne. C’est seulement à partir de 1830 que le cimetière de la ville se déplace à Bel Air, entourant le premier caveau de plusieurs autres plus petits. Le caveau des Anglais (1786 – 1873) forme ainsi un cimetière à l’intérieur de l’autre.

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Ce monument funéraire constitué de pierres de taille, de moellons est en maçonnerie. Il se compose d’un caveau initial datant du XVIIIe siècle, en forme de gros cube de béton, il mesure « 6,45 m sur 7,94 m et est haut de 3,60 m ». En 1786, Pierre Antoine Thuault de la Flocherie (1734-1786) est la première personne à y être inhumée.
Pendant cette période d’occupation, les Anglais sont partout mais ne s’investissent pas dans les décisions administratives ou politiques importantes. L’esclavage est maintenu. D’ailleurs, les esclaves ne sont pas enterrés dans les cimetières. Le statuquo est de mise. Les fonctionnaires français restent à leurs postes. Les règlements et la presse continuent à être publiés en langue française.

A la retrocession de l’ile en 1815, les dépouilles de soldats anglais sont emportées comme celle du Commandant Corbett inhumé à Sainte-Rose. Le caveau reste inoccupé jusqu’en 1829, (Dame Dejean). A son décès en 1873, Paul Sicre de Fonbrune l’occupe à son tour. Son épitaphe porte noms, dates et récompenses :
« Chevalier Paul Charles Auguste Sicre de Fontbrune
Ancien officier des armées du Roi
Chevalier de l’Ordre Royal et Militaire de Saint-Louis
Né à Saint-Denis le 21 mars 1759
Décédé le 25 mars 1840 »

Au XIXe siècle sont venus s’ajouter deux prolongements. Le premier, posé contre le caveau, tout en long, abrite deux petits mausolées surmontés de plaques en marbre blanc et deux plus grands surmontés d’un toit plat. A l’entrée se trouve une énorme dalle de basalte taillée et gravée manuellement. Un autre plus petit, abrite quatre plaques de marbre à même le sol.
Cette lettre de Chanvallon, inspecteur général en poste pendant l’occupation anglaise, adressée au Gouverneur général Farquhar pourrait peut-être donner un début d’explication à ces enclos :
«Déjà lorsqu’en 1785, j’étais administrateur en chef de cette colonie, j’avais été frappé par l’indécence des sépultures (…) Les églises tombant partout en ruine(…) ne prêtent que trop souvent au ridicule (…) le cimetière ouvert maintenant de tous côtés, laisse un libre passage aux chiens et à tous les animaux qui viennent déterrer les cadavres (…).

Le cimetière de Sainte-Suzanne en plus de la valeur patrimoniale du Caveau des Anglais mais aussi de nombreuses autres munoments, a une valeur historique certaine.
La restauration des monuments, mausolées, tombes et caveaux a été assurée pendant une dizaine d’années, par des étudiants de l’Université de La Réunion et des membres de l’Association pour la Sauvegarde du Patrimoine de Sainte-Suzanne. Le résultat est édifiant. La lisibilité comme la préservation sont assurées.
Le long des larges allées, le promeneur a le regard dévié vers le phare et la mer proches puis plonge dans une époque révolue mais pas si lointaine. Ce cimetière historique vaut le détour.

Sources :
Prosper Eve « Un Quartier du « Bon Pays » Sainte-Suzanne de 1646 à nos jours »
Le mémorial de La Réunion- T2- Direction Henri Maurin , Jacques Lentge
Le Patrimoine des Communes de La Réunion – Le Flohic

Sabine Thirel

Les sources thermales d’HELL BOURG

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« cirque de Salazie » lithographie d’Antoine ROUSSIN « habitation de M.Th CAZEAU »

1831

Elles ont été découvertes officiellement vers 1831 par Adrien Pignolet de Fresnes et Adam de Villiers .En chassant ils découvrent au lieu-dit « bé maho » sur la rive droite du bras sec ( 872 d’altitude), entre le plateau du futur Hellbourg et l’Ilet à Vidot, des sources aux propriétés thermales.

1841

La valeur thérapeutique et médicale de ces sources a été reconnue rapidement.

( 900 à 1300 litres d’eau par heure à une température de 32.5°)

Les premiers curistes s ’ installent dans des cases en bois ou des paillotes près des sources dans le Bras sec .

Progressivement, un village se crée autour des sources thermales, appelé au départ « village des sources » . En 1841 il deviendra district spécial de Salazie

1842

En novembre 1841 le nom d’Hell-Bourg avait d’abord été donné au village du « Petit Sable » (actuellement Salazie), Mais en mars 1842, c’est le village des Sources qui prendra le nom d’Hell-Bourg, En hommage au gouverneur de Hell qui exerça ses fonctions de 1838 à 1841 et qui favorisera le développement du thermalisme

1852

Le 13 juillet 1852 un arrêté colonial autorise une société anonyme Établissement thermal de Salazie à aménager le site, avec établissement de bains et casino.

De grands travaux sont entrepris sur le bras Sec afin de capter l’ensemble des sources et les réunir en deux canaux. Des Lieux de distraction jouxtent l’établissement de bains avec une salle de casino.

Les vertus des eaux thermales conviennent au traitement de nombreuses maladies :

lumbagos, paralysie, maux d’estomacs, problèmes génitaux, urinaires, vomissement, épilepsie, obésité et danse de Saint-Guy

« La température de l’eau au sortir des robinets est de 32°5 centigrades. Ces eaux sont claires, limpides, d’une odeur peu intense et qui rappelle celle de l’encre. Le dégagement de gaz acide carbonique, par petites bulles, est appréciable dans le verre qui vient d’être rempli. Leur saveur est aigrelette et laisse un arrière – goût austère. Après quelques instants de repos, elles déposent sur les parois du vase un sédiment ocracé d’un rouge sombre assez abondant ».

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Les Thermes
dessin de Antoine Roussin

1853

1 décembre 1853 une souscription de billets est lancée

1875

Effondrement

Le 27 novembre 1875, un vacarme considérable résonne dans le cirque de Salazie, une masse rocheuse de prés de vingt millions de mètres cubes s’abat dans la vallée et sur les habitations de Grand Sable. Le Gros Morne qui culmine à 3019 mètres vient de s’effondrer sur un de ses versants, on déplore 63 morts et une quinzaine de cases détruites. Les habitants sont pour la plupart encore ensevelis sous des tonnes de roches.

1879.

Cependant la société ne fait pas de bonnes affaires et l’établissement passe dans les mains d’une autre société qui ne fait pas mieux .Tout tombe en ruine et une crue du Bras Sec lors du Cyclone de 1879 emporte une partie des constructions, notamment le casino et endommage les sources

Le débit des sources diminue progressivement (environ 1,1 litres par seconde) comme sa température et une minéralisation plus faible à tel point qu’on est obligé de stocker l’eau puis de la réchauffer pour les bains.

Cette conjoncture accélère l’exode des curistes qui préfèrent ceux de Cilaos.

1905

En 1905 le Conseil municipal propose à l’administration de racheter les anciens établissements et de tout remettre à neuf puis d’en faire don à la colonie.

En contre partie la colonie s’engage à nommer à Hell-Bourg un médecin civil. C’est le docteur Jacob Cordemoy qui sera nommé médecin résident à Hell-Bourg

Pendant longtemps, le trajet des bourgeois jusqu’à Hell- Bourg se faisait par Chaises à porteurs mais du fait de l’activité thermale qui se développe, la route fut prolongée jusqu’au village.

Hell- Bourg connaît alors une belle période jusqu’en 1920.

Les classes aisées du littoral de l’île, attirées par les thermes viennent également profiter de la fraîcheur du cirque de Salazie dans un mouvement appelé « changement d’air ». Peu à peu, une vie mondaine s’organise : on assiste successivement à la construction et la location de villas (résidences secondaires), Un hôpital militaire, devenu hôtel des Salazes sera construit pour héberger les militaires de Madagascar. On y vient pour ses eaux, son cadre magnifique et son excellent climat. Hell- Bourg devient donc à la mode, et la dernière période brillante de la station est celle animée par le Docteur Manès, qui se partageait entre ses malades et une activité culturelle dont le centre sera le Grand Hôtel des Salazes.

Mais le faible volume d ’ eau disponible, ses variations rapides de température, et les éboulis causés par les différents cyclones font que la fréquentation des sources d’Hell-Bourg n’atteint pas celle du cirque de Cilaos

1948

les pluies lors du cyclone de 1948 entraînent un éboulement qui bouche les sources, et un dynamitage intempestif sonnera le glas des thermes .

À partir de 1948 la fréquentation d’Hell-Bourg s’atténue fortement.

LE 3 MAI 2010

Patrick AUJOULAT

L’histoire de Savannah St Paul

 

Les premiers habitants de l’île se sont installés autour de l’étang Saint-Paul au pied de la montagne qui surplombe la ville. La savane aride s’étendait du « bout de l’Etang » jusqu’à la rivière des Galets. Cet espace était appelé « Parc à Jacques » du nom de son premier concessionnaire : Jacques Fontaine.

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Usine Defaud – Grand Pourpier-

Au XVIIIe siècle l’île Bourbon est le grenier des Mascareignes, la plaine de Savannah est recouverte de rizières et de vivres. Ce n’est qu’après la livraison, du canal Lemarchand en 1829, dont la construction a duré 15 ans, que les terres arides se transforment en champs de cannes. Ce canal alimente la plaine Chabrier jusqu’en 1976. C’est à partir de là que les usines du Piton, du Grand-Pourpier et du Bout de l’Etang (Savanna) ont été construites. La production de sucre est acheminée vers les quatre Marines nouvellement construites dans la baie de Saint-Paul.

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En effet, Olive Lemarchand achète le domaine à Lacaille au début du XIXe siècle qu’il nomme : Domaine Sucrier de Savanna et installe la première usine en 1820. Des ruines noircies, en pierres de taille et moellons, surmontées d’une cheminée rognée par le temps se trouvent à La Perrière sur le Chemin du Tour des Roches(image 2). Ces ruines correspondent-t-elles à cette première usine ?

A cette époque, la main d’œuvre repose essentiellement sur l’esclavage.

 
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Usine de Savanna

D’ailleurs l’Abbé Macquet, curé de la paroisse de Saint-Paul de 1844 à 1860, écrit : « La messe terminée (…) un grand rassemblement se forme à la porte de l’église : j’entends des soupirs et des gémissements poussés par une famille d’esclaves que l’on va vendre (…) Il fallait entendre leurs supplications pour déterminer les (riches colons) à les acheter tous ensembles (…) A un signal donné, ils se dépouillent de leurs pauvres vêtements : on les fait monter sur les tables ; on les examine comme des bêtes, pour s’assurer s’ils ont bon pied bon œil ; et cette révision se fait devant la foule assemblée. Puis vient la mise à prix (…) C’est un honnête et riche colon qui fait une offre pour le groupe entier : la foule applaudit, la vente est conclue. » (cf.A.Miranville)

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La Grande Maison

Lors de l’Abolition de l’esclavage en 1848, les affranchis à majorité indienne, s’installent aux alentours des villes et des sucreries.

La Société du Domaine de Savanna constituée en 1876, passe aux mains de La Hogue puis à celles d’Eléonore Hoareau-La Source. En 1897, les héritiers Hoareau-La source propriétaires de l’Etablissement et des terres environnantes, créent la Société Anonyme Agricole et Industrielle de Savanna. Comme toutes les propriétés de l’époque, les habitants du domaine vivent en autonomie. La nourriture et les vivres sont produits sur la propriété. Ce qui évite de dépendre des autres et surtout des navires peu nombreux.

En 1902, Savanna emploie 151 engagés, soit 45 Malgaches, 43 Indiens, 32 Africains et 31 chinois.

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Habitation des engagés-

Longère Rachetée en 1916 par la société Anatole Hugot et Charles Maureau, la propriété passe aux mains de Frédéric de Villèle et Adrien Lagourgue. Enfin, en 1948 Savanna rejoint La Mare, l’Eperon, Stella et Grands-Bois pour former les Sucreries de Bourbon dont le PDG est Emile Hugot.

La Grande Maison située derrière l’usine appelée aussi Château ou Maison Blanche est un édifice du XVIIIe siècle. Elle abritait le propriétaire puis le directeur de l’usine jusqu’en 1935. Par la suite elle a servi de dépôt de sucre. Très sobre, elle se dresse face à l’étang situé à quelques centaines de mètres par une allée de cocotiers. Cette maison de maître à un étage, a aussi servi de lazaret, c’est-à-dire de lieu d’isolement pour les nouveaux arrivants espérant ainsi éviter la propagation des maladie dont ils seraient porteurs, mais il sert aussi de lieu de soins.

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Savanna-Photo Brice Basson-

Témoins architecturaux et mécaniques de l’industrie sucrière de La Réunion Lorsque le directeur habite dans la Grande Maison située face à l’Etang, les techniciens et employés sont logés autour de l’usine. Les engagés vivent sur le chemin du Tour des Roches au lieu dit Jardin La Perrière. Des bidonvilles se sont montés le long de la longue Allée des Palmiers, à l’entrée de l’habitation, dans le quartier Bonaparte. C’est là, derrière les épaisses haies de bois de lait que s’installent les manœuvres, les travailleurs occasionnels. Les journaliers en fin de contrat rejoignent également l’endroit.

Une première distillerie est créée dans les années 1870.

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Savanna – Réserve de Sucre

Les petites usines de l’Ouest fusionnent entre elles. Celle de Bellemène est la première à fermer en 1904 ; précédant Petit Bernica de 4 ans à peine. L’usine de Villèle arrête de produire en 1920 et l’Eperon en 1935. Vue Belle et Savanna brassent la totalité des cannes du territoire Ouest. Alexis Miranville apporte les précisions suivantes : « Le rhum produit à Savanna et à Vue Belle était vendu en gros en ville de Saint-Paul. Le dépôt de rhum se trouvait dans les bureaux des Contributions Indirectes. L’employé de ce service prélevait ainsi, à la source, toutes les taxes dues. Ce dépôt fut supprimé au début des années 1970. »

A partir de 1970, Savanna broie l’ensemble des cannes de l’ouest. Alors que la centralisation est lancée depuis presque qu’un siècle, en 1982 la distillerie de Savanna se dote d’un équipement performant dans le but de fabriquer du rhum léger destiné à l’exportation. « Cette acquisition a été, pour Distillerie de Savanna, le fait générateur du développement de sa technologie rhumière, qui a multiplié, à partir de cette année là, la diversification et la qualité de ses productions. » En 1992, la distillerie est transférée à Bois-Rouge, Saint-André, concentration oblige.

Henri Odile, septuagénaire, rencontré sur le chemin du canal Lemarchand raconte volontiers, avec nostalgie, avoir travaillé avec M. Roger à Savanna. Il était « manœuvre-chaudière » jusqu’en 1985 date de sa retraite et de la dernière campagne sucrière de l’usine.

Le domaine de Savanna s’est adapté à sa population de plus en plus nombreuse et diversifiée, installant des lieux de culte, un temple indien dans la cour de l’usine transféré à l’Allée des Palmiers et une église sur le chemin départemental. Une boutique « chinois » s’installe aussi face à la balance.

 

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Balance sur la plateforme.

L’usine de Savanna ferme ses portes en 1986. Son dernier directeur Roger Thirel, qui a succédé à son père Jules Thirel 30 ans plus tôt, rejoint l’usine de Grands Bois, dernier bastion des Sucreries de Bourbon devenue Industrielle Sucrière de Bourbon. Une grande partie du personnel y est également déplacée.

Aujourd’hui, Savanna se transforme en zone commerciale et regroupe de nombreuses grandes enseignes.

Sabine THIREL

Sources :

Saint-Paul, Histoire et mutations d’une petite ville coloniale. Alexis Miranville-L’Harmattan-2001-

Le Lazaret de la Grande-Chaloupe – M.Marimoutou-Oberlé

Distillerie de Savanna

L’Abbé Macquet, Six années à l’Ile Bourbon, Editions Cattier, 1993

Témoins architecturaux et mécaniques de l’industrie sucrière de La Réunion- Amicale du personnel de la culture à La Réunion

La révolte de ST LEU

En 1810, l’Ile de la Réunion vient de perdre son nom de Bonaparte, elle est sous domination anglaise. La France et la majeure partie de l’Europe continentale sont dans les mains de Napoléon Bonaparte. Le gouverneur est Sir Farhquar qui ne reste que quatre mois dans l’île. Il rejoint l’île Maurice elle aussi Anglaise, et laisse les commandes au Général Keating. Ces nouveaux occupants sont, selon la formule consacrée, une main de fer dans un gant de velours.

Document Pierre Alibert - » Le grand livre de l’esclavage » Chacun sait que l’Angleterre, partie intégrante de la Grande Bretagne depuis 1801, est farouchement opposée à la « Traite des Noirs ». Aussi, les colons appréhendent ce changement. Ils craignent de ne pas pouvoir remettre les champs en état après les grandes avalasses de 1806 et 1807 et des cyclones qui ont détruit toutes les plantations. La plupart d’entre eux sont ruinés. C’est le premier groupe de Blancs pauvres qui se réfugient dans les Hauts refusant de travailler pour l’autres Blancs auprès des esclaves. Le café est en mauvaise posture. Le pouvoir anglais s’intéresse à la canne à sucre qui a fait ses preuves aux Antilles et dans les autres colonies.

Les Anglais sont pour l’abolition de l’esclavage et se montrent fervents défenseurs de la cause des esclaves. Ils croisent sur l’Océan Indien à la recherche et à la poursuite des négriers. Ces courses poursuites produisent parfois l’effet inverse de ce que souhaitent les abolitionnistes. En effet, sur les navires pris en flagrant délit, pour ne pas payer de taxes, il n’est pas rare de voir les marins se débarrasser de la « marchandise ». Hommes, femmes et enfants poings liés sont jetés à la mer.

Les esclaves voient en cette arrivée des Anglais, une possibilité de libération et espèrent un changement immédiat de leur situation. Cependant, les colons persuadent les Anglais de ne pas provoquer de grandes modifications dans l’île. Ainsi pour éviter le mécontentement des esclaves et la possibilité d’un mouvement de colère de leur part, ils affranchissent un certain nombre d’entre eux. Ils sont assurés de maintenir le calme tant au niveau des esclaves que de leurs maîtres qui détiennent l’économie, d’autant que La Réunion est le grenier des Mascareignes. Saint-Leu abrite 90 % d’esclaves dans ses plantations.
Alors déçus, les esclaves réagissent. Quelques groupes s’organisent.

Dans la nuit du 4 novembre 1811, un certain Jean, commandeur créole de M. Maillot, rassemble dans la Ravine du Trou vers Saint-Leu, quelques meneurs destinés à encadrer les troupes. Bien plus que cent esclaves, deux cents d’après l’historien Prosper Eve, sont prêts à attaquer les habitations, pour gagner leur liberté. Figaro, esclave créole de la veuve Legrand dénonce le complot à Saint-Louis et précipite la date de l’attaque. Le 5 novembre, Jean et 50 autres esclaves sont arrêtés et transférés à Saint-Paul. Elie prend le relai, aidé de Gilles et Prudent. La révolte est en marche.

Dans la nuit du 8 au 9 novembre 1811, Elie et plusieurs autres fondent sur l’habitation de Célestin Hibon, ils ne trouvent pas. Ils tentent de rameuter les esclaves de cette habitation. Ils raflent alors des outils et objets qui leurs serviront d’armes pour attaquer les autres domaines. Ils se dirigent alors vers celui de Jean Macé qu’ils abattent, pendant que sa famille s’enfuit. Les révoltés décidés de mettre fin une seule fois pour toute à l’esclavage, progressent encore vers les autres plantations, celle de Pierre Hibon est défendue par ses esclaves. Dans chaque habitation, ils essayent d’amener les esclaves à les rejoindre. Chez Pierre Hibon, ils s’arment une nouvelle fois. Armel Macé qui est abattu à son tour chez lui.

Paulin, a assisté impuissant à l’assassinat de son maître Armel Macé. Il se rend à Saint-Leu pour prévenir des évènements. Une petite milice de colons armés se forme instantanément et se met à la poursuite des mutins. Ils installent un guet-apens et parviennent à arrêter les révoltés en tirant à vue. Une vingtaine d’entre eux est tuée. Certains seront pris et enfermés, et les autres encore sont pourchassés avant d’être emprisonnés à leur tour et d’être traduits en justice. Le procès se déroule dans la Cathédrale de Saint-Denis. Le gouverneur Farhquar se déplace dans l’île. Trente condamnations à mort seront prononcées. Les condamnés seront exécutés dans toutes les régions de l’île à titre d’exemple.

Sabine THIREL

Sources :
Le grand livre de l’esclavage -Gérard Thélier et Pierre Alibert Orphie éditions -2002
Le Mémorial de La Réunion – Australes Editions 1978/1980
Doc. Prosper Eve
L’Alliance imaginée : La révolte des esclaves et des petits créoles dans la mémoire réunionnaise – H.Gerbeau – IEP et CERSOI- Université d’Aix Marseille

Les « Francs Créoles » de la Réunion

 

Les Francs-Créoles s’appuyant sur la charte mise en place par Louis-Philippe en France, en réclament l’application à Bourbon. Trois années de lutte de la classe moyenne libérale contre le pouvoir du Gouverneur et de l’aristocratie foncière locale nommés par le Roi, mèneront en 1832 à la mise en place d’un conseil colonial élu.

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un franc-créole : nicol de La Serve

Vestiges de l’usine du Colosse En juillet 1830 à Paris, Charles X est renversé et remplacé sur le trône par Louis-Philippe plus libéral. Celui-ci édicte la Charte par laquelle il «institue en métropole l’élection pour la formation des conseils généraux des départements, et la liberté de la presse» (cf. O. Caudron)

A Bourbon depuis 1815, la vie politique et économique est gérée par « la grande société » de la colonie comme Desbassayns et Villèle. La classe moyenne en est écartée. Nicole Robinet de la Serve, propriétaire de l’usine « idéale » du Colosse, basée sur un modèle social qui se traduit rapidement par un échec économique, écrit en janvier 1833 : « une prétendue noblesse créole, qui vient on ne sait d’où et qui s’appuie sur on ne sait quoi, se considèrent pourtant comme formant exclusivement la classe des gens comme il faut…».

Nicole Robinet de la Serve n’est pas un inconnu dans l’île, puisque déjà en 1809, il prend le commandement contre la première attaque anglaise de Saint-Paul. Lorsque l’ile devient anglaise, il refuse l’allégeance à l’occupant et s’exile à Paris. En 1814, il s’associe aux parisiens pro Napoléon, pour interdire l’accès de la ville aux armées de la coalition. Sous la Restauration, opposant libéral, il lutte encore contre Louis XVIII. Avocat,il continue son combat, de retour à Bourbon en 1824.

Maison Desbassayns de Villèle-St-Gilles les Hauts L’économie de l’île est catastrophique suite aux cyclones de 1829 et de 1830.

Le gouverneur Duval d’Ailly, fraichement nommé par Charles X, est récalcitrant aux changements. Le Conseil privé (gouvernement local) se compose du commissaire ordonnateur, du directeur de l’Intérieur, du procureur général et deux notables (Blancs, riches et conservateurs). Mais les libéraux réclament le droit de participer aux décisions locales par l’élection de représentants de «la petite société» et la liberté de la presse.
Ainsi, les propriétaires petits ou moyens non détenteurs du pouvoir économique veulent une partie du pouvoir politique. Ils vont manœuvrer pour prendre part aux décisions.
Sous l’impulsion de Robinet de la Serve, en 1830 une association secrète «les Francs-Créoles» siège au Quartier Français Sainte-Suzanne. Leur devise est : « Attachement à la France – Garantie des droits acquis – Etablissement d’une assemblée coloniale ».

Leurs premières actions sont de lancer des pétitions pour que « le Conseil général soit une véritable assemblée représentative de tous les citoyens». Mais ne peuvent être électeurs que les propriétaires d’au moins 12 hectares de terres et de 10 esclaves, ce qui limite l’accès de l’Association également aux Blancs pauvres.
L’association officialisée le 15 mai 1831, trouve à sa tête Diomat, De Jouvancourt et Camoin. Elle regroupe essentiellement les petits ou moyens planteurs de l’Est (avant d’être rejointe par ceux de toute l’ile) comme Elie, Beaumont, Campenon, Salesse, Laclos, Robert, Charles et David de Floris, Dioré, Abadie, Sigoyer, Arthur Leclos, Cotteret, Lepervanche aîné, Dary Loupy, Nicolas Hibon et aussi entre autres, Jean-Baptiste Renoyal de Lescouble et François-Auguste Vinson.
On dit que la plupart d’entre eux était Francs-maçons mais pour olivier Caudron «cela reste à vérifier».

Usine de Quartier Français Pour les Francs-Créoles, «tous les Français, créoles ou européens, âgés d’au moins vingt-cinq ans et habitant la colonie depuis au moins trois ans, devront bénéficier de droits politiques et ce quelle que soit leur couleur». Aussi, «l’Association reconnait l’égalité sans distinction aucune, de tous les hommes libres sur le sol de Bourbon». Mais qu’en est-il de la population esclave.
D’après Olivier Caudron « s’il apparait acquis que Robinet de la Serve était abolitionniste, l’Association dans son ensemble ne l’était pas ; l’émancipation aurait d’ailleurs signifié la ruine de beaucoup de ses membres».
Les Francs-Créoles pensent asssi que l’esclavage participe au maintien de l’ordre social. « Le Franc-Créole considère l’esclavage comme un fait que le temps seul et les causes morales peuvent améliorer. Les lois ou règlements qui auraient pour but de porter atteinte à l’esclavage doivent être repoussées comme attentatoires à l’ordre public … dangereux pour la sûreté et la prospérité du pays. »

Paysage de France Pour le Franc-Créole «la métropole est un mauvais juge des intérêts coloniaux». Les habitants de la colonie sont seuls à pouvoir décider de ce qui les concerne. Il clame à qui veut l’entendre «l’existence d’une patrie créole» et aussi qu’il est «Français mais colon avant tout» Ni démocratie, ni aristocratie, il réclame un pouvoir politique intermédiaire appuyé sur la classe moyenne. Il précise aussi que l’Association peut accueillir des «Européens» qui auront épousé les sentiments et les intérêts insulaires». Les libéraux axent leur association sur : la spécificité de la colonie. De plus chaque membre doit adopter la «profession de foi des Francs-Créoles».

Leur presse clandestine « imprimerie des Salazes » apparait en janvier 1832. « Selon Louis Brunet, l’imprimerie des Salazes fonctionnait dans les caves de la maison de Sigoyer à Quartier Français, « mais parfois on la transportait de nuit » pour éviter les recherches de la police, et elle fonctionnait en plein champ, les autorités ne parvinrent pas à la saisir »(cf. O.Caudron). En avril 1832, Le Furet, journal clandestin des Francs-Créoles sort des presses de l’imprimerie des Salazes. Cette presse a évidemment servi à répandre les idées de l’Association.

Flangourin -Musée Stella Matutina Ils obtiennent gain de cause avec la création du conseil colonial de Bourbon élu directement, apte à «décider l’impôt, de régler les affaires intérieures». Sont dans la première assemblée, les Francs-Créoles suivant : Patu de Rosemond, Hibon, de Mahy, Hubert Delisle, Le Coat de Kervéguen, Auguste Pajot, Valombreuse Dehaulme, Nicolas Hibon, Félix Vergoz. Ils obtiennent 15 sièges sur 36 à pourvoir. Non majoritaires, ils n’obtiennent ni législature locale, ni liberté de la presse, ni publicité des débats. C’est un cuisant échec. A l’arrivée du nouveau gouverneur Cuvellier, son objectif principal obtenu l’Association est dissoute.

De la Serve qui ne parle plus de Francs-Créoles mais de Parti colonial, continue de lutter pour la liberté de la presse refusée par le nouveau gouverneur, en publiant Le Salazien qui édite 130 feuilles entre 1832 et 1833. Mais malgré les déménagements nocturnes la presse est saisie par la police en juillet 1833. Cependant, un flangourin équipé de lettres servira encore pour l’impression quelques autres exemplaires du Salazien. Il s’arrêtera définitivement semble-t-il pour des raisons techniques puisque les dernières lignes de l’exemplaire N° 24 sont manuscrites. En 1880, la presse coloniale sera assimilée juridiquement à la presse nationale.

Sabine THIREL

Sources :
Les Francs-Créoles de l’Ile Bourbon (1831-1833) Olivier Caudron – Cahiers de notre histoire – Editions CNH
- « Voyage aux colonies orientales » Jean Baptiste Lescouble
- « Le grand livre de l’histoire de La Réunion » Tome 1 – D. Vaxelaire – Orphie
- Le mémorial de La Réunion – Les Francs-Créoles dans la mélée – Tome 2 – Henri Morin et Jacques Lentge
- « L’énergumène créole » Robinet de la Serve biographie – Marc Bressant (de son vrai nom, Patrick Imhaus) – 2007 (ci-contre)

Histoire de l’Eglise de Ste Rose

 

La ville de Sainte-Rose présente plusieurs lieux de prière particuliers. En effet, l’église elle-même construite dans le Quartier du Quai-La-Rose en maçonnerie, basalte taillé, date de la première moitié du XIXe siècle.

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intérieur de l’Eglise de Sainte-Rose

En 1750, une paillotte tient lieu de chapelle aux Lazaristes de Saint Benoît officiant au Quai-La-Rose. La paroisse est établie en 1789 – 1790. Les offices se tiennent alors dans une case en paille, avant de se dérouler dans un bâtiment en bois.
En 1843, le premier curé de la paroisse, le Père Richard et le maire Lenoir se réunissent pour construire une église en dur. L’église en maçonnerie, pierres de basalte taillées, est consacrée en 1858.

Intérieur de l’église de Sainte-Rose L’autel en béton et marbre blanc sculpté en bas relief, est un don de l’épouse d’un planteur et industriel de la commune, Arthur Lory des Landes.

Cet autel est partiellement cassé par la chute de la cloche lors d’un enterrement en 1925. Le clocher est reconstruit à l’extérieur de l’église.

La Statue de Sainte Rose de Lima est mise dans l’édifice dès sa consécration en 1858. D’autres représentations de saints entourent le chœur.

Croix Jubilée Sur la place de l’église qui tourne le dos au village, se tient une croix jubilée datant de 1829. Face au clocher, cette croix se dresse sur un socle en basalte taillé.

Sainte Rose possède trois de ces calvaires, nommés « croix jubilée » par les fidèles. Ils sont nombreux et souvent identiques. Ils jalonnent les routes et les cimetières de l’île comme pour rappeler la ferveur des Réunionnais. Ces croix sont la plupart du temps fleuries. On y trouve aussi des petits verres de rhum et des cierges déposés en offrande.

cimetière « Malbar » St-Louis A l’extérieur du cimetière sur le côté Est, des tombes datées du XIXe siècle, sont implantées ce sont celles des suicidés, d’accidentés ou encore celles d’anciens esclaves et engagés non baptisés. C’est seulement en 1930, que les tous les morts s’enterrent dans les cimetières.

Ces sépultures à peine entretenues tombent dans l’oubli et sont appelées à disparaitre progressivement. Il en a été de même des tombes du  » Cimetière Malbar  » de Saint Louis, situé lui aussi à l’extérieur du cimetière qui est aujourd’hui totalement recouvert de sable noir et disparait sous les détritus et les herbes folles. Dans l’île, de nombreuses tombes hors des cimetières abritaient les non chrétiens qui étaient la plupart du temps les engagés indiens non convertis, les condamnés à mort exécutés et les dépouilles de ceux qui étaient décédés de mort violente et qui n’avaient pas reçus l’extrême onction.

Chapelle Sainte Rita Sainte-Rose abrite aussi deux petites chapelles en pierres de taille enduites à la chaux, identiques. La première, la chapelle Sainte Rita, se positionne à l’entrée Nord du pont suspendu surplombant la Rivière de l’Est. L’autre se trouve de l’autre côté de la rivière à l’entrée Nord de la ville. Le Patrimoine des Communes de La Réunion, cite : « Cette chapelle (Sainte-Rita) est construite grâce à mademoiselle Cécile Robert, sans doute en remerciement à une grâce. »
Les deux chapelles étant similaires, la demoiselle est peut être aussi à l’origine de la deuxième.

Chapelle En contrebas de la commune, au lieu dit La Marine, le monument Corbett est un mausolée dédié au Commodore anglais tué dors de la bataille de Sainte-Rose en 1809. Le bâtiment ne contient plus aucune dépouille, les Anglais l’ayant emporté à leur départ en 1815. (cf. La bataille de Sainte-Rose- Zinfos974.com)
Les lieux de recueillement de la ville ne seraient pas complets si on n’y ajoutait pas les petites niches rouges de Saint Expédit, la vierge Parasol et Notre Dame des Laves…

 

Sabine THIREL

Sources :
Du battant des lames au Sommet des montagnes Catherine Lavaux
Le Patrimoine des communes de La Réunion – Le Flohic

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