Archive pour la catégorie ‘XIXe siècle’

Avant les lazarets , le voyage maritime

D’un point de vue maritime, pour recevoir les navires venant de la Métropole, l’île ne dispose pas encore de port. Il faudra attendre 1883 pour la livraison du port de Saint-Pierre et 1886 pour l’ouverture du port de la Pointe des Galets situé dans la future ville du Port. Des rades foraines, ouvertes aux vents, et des barachois aménagés dans certaines de ces rades servent d’escale aux navires. L’activité de batelage permet, par l’intermédiaire de diverses embarcations, de décharger les navires stationnés en rade. Ce système est lié à l’installation de Marines, structures associant un pont débarcadère, jetée généralement construite en bois sur structure métallique.

L’augmentation du mouvement maritime autour de l’île est liée à celle des exportations de sucre et permet de répondre aux besoins de main-d’oeuvre. Un nouvel espace de quarantaine sanitaire est aménagé à La Grande Chaloupe à partir de 1860, prenant le relais de celui de La Ravine à Jacques. Ce nouvel espace est utilisé pour la mise en quarantaine sanitaire des migrants libres et des Engagés. Les passagers arrivent jusqu’à un pont débarcadère situé dans l’anse de la Grande Chaloupe. Le pont est régulièrement balayé par les cyclones et à partir de 1875, on débarque directement de la chaloupe sur la plage. A l’ouverture du port de la Pointe des Galets, les arrivées basculeront progressivement vers le Port. En 1924, les documents signalent encore la présence d’un pont (wharf) qui ne semble utilisé qu’épisodiquement à cette époque. La cartographie disponible aux archives ne permet pas de localiser précisément ces éléments. De plus
la lecture du site est également rendue difficile à cause des travaux de la première route en Corniche livrée en 1962 qui modifie complètement la configuration du site. Ainsi on n’arrive plus à situer certains éléments comme le mât des signaux permettant les échanges avec les navires stationnés ou le signalement de la quarantaine.

Les thèmes développés permettront de cerner les contraintes de la navigation et du stationnement dans l’anse de la Grande-Chaloupe, suivre l’évolution des navires transportant les passagers parmi lesquels les engagés, comprendre les conditions de transport et les routes maritimes empruntés. Le propos se placera aussi du point de vue de la connaissance des équipages et s’intéressera aussi aux migrants dans un rapport plus statistiques en soulignant également la richesse et la diversité des parcours individuels, liés à la variété des trajets maritimes

Les conditions de transport des engagés

Les engagés sont relativement entassés à bord, généralement installés dans
l’entrepont – comme les troupes et les émigrants européens – mais ils peuvent passer beaucoup de temps sur le pont pour échapper au confinement. Les conditions les plus dures sont subies par les Malgaches et les Africains dans les années 1850-1860 et encore jusque dans les années 1880 lorsque les engagements sont en fait des enlèvements. Ils sont littéralement parqués et ne reçoivent aucun soin. La mortalité est donc extrêmement élevée, surtout à cause de maladies contagieuses, et peut dépasser celle des navires négriers.

De ce fait, le voyage est mieux réglementé à partir de 1861-1862. On introduit la règle de 1,7m3 minimum par engagé au départ de l’Inde du Sud – 2m3 au départ de Calcutta puis, sur les vapeurs, il faut compter 4m3 mais cette mesuresemble surévaluée. Ces mesures sont ensuite étendues aux autres engagés, mais ne sont pas toujours respectées. A bord, il faut respecter une organisation stricte, chacun à sa place : les hommes d’un côté, les femmes et les enfants de l’autre, comme pour le reste des passagers du navire, les malades séparés dans une infirmerie et les bagages bien installés à part. Ceci est important car des engagés indiens ont pu mourir étouffés lors des chutes de bagages par gros temps. Les engagés dorment souvent sur une natte ou un lit de camp dans l’entrepont mais ils peuvent aussi s’installer sur le pont en cas de grosse chaleur, comme tous les autres passagers. On doit prévoir un lieu d’aisance pour 75 engagés, désinfecté à la chaux trois fois par jour. Ces cabinets sont placés aux extrémités du bateau. Des charniers d’eau sont également à disposition sur le pont.

En 1901, mille Chinois voyagent sur l’Erica, un vapeur équipé de l’électricité. Ils sont répartis en deux entreponts de 38 m sur 12 m et 2 m50 de hauteur. Chaque engagé possède 2,80 m3 pour s’installer, soit moins que la limite minimum mais le bateau est très bien aéré. Chaque engagé dispose en outre d’un lit, d’une natte, d’une couverture et de vêtements de rechange. Le bateau est lavé à grande eau matin et soir avec une solution de sulfate de fer et il est strictement interdit de jeter des déchets au sol afin de maintenir un bon niveau d’hygiène. Des cabinets d’aisance sont prévus mais il est parfois difficile d’obliger les engagés à s’en servir. Tous les jours, ces engagés chinois bénéficient en outre d’une alimentation équilibrée et abondante. Des interprètes et parfois des prêtres accompagnent les engagés pour faciliter la vie à bord.

Moutoussamy Madalamoutou, engagé indien arrivé à La Réunion le 16 octobre 1879 a effectué la traversée sur un voilier. La Créole est un trois-mâts de 320 tonneaux manoeuvré par 16 hommes d’équipage, qui a effectué plusieurs recrutements d’Indiens puis de Malgaches.
(Archives départementales de La Réunion)

Le rôle du médecin et les malades Pour tous les voyages en provenance d’Asie puis d’Afrique, un médecin se trouve obligatoirement à bord à partir de 1861, avec une pharmacie. Notons que ce n’est pas forcément le cas lorsque des pauvres d’Europe émigrent vers les Amériques ou l’Australie. Une petite infirmerie est souvent installée à bord. De ce fait, les morts deviennent de plus en plus exceptionnelles, même avec un seul praticien pour mille engagés. Cette amélioration vient aussi de la meilleure santé des engagés lors de l’embarquement. Le médecin effectue une visite quotidienne au cours de laquelle il soigne les plaies bénignes qui risquent de s’infecter. On profite aussi de la traversée pour vacciner les émigrants et les malades les plus graves peuvent être débarqués lors des escales. Au fil du temps, le mal de mer reste presque le seul problème et de nombreuses traversées ont lieu sans encombre. Malgré tout, des épidémies graves ont pu se déclarer à bord des navires. Rappelons ainsi le cas du Mascareignes qui apporta le choléra en 1859 en débarquant ses engagés africains et celui du Madona qui importa a grippe espagnole en 1919 avec les troupes coloniales rapatriées.

Ceux qui n’arrivent jamais à La Réunion : morts et déserteurs Au début de la pratique de l’engagisme et jusqu’en 1861 environ, les morts sont très nombreuses à bord. On peut compter jusqu’à 25% de décès en provenance d’Afrique à cette époque. Il s’agit la plupart du temps d’engagés qui ont été embarqués malades mais certains meurent aussi du manque d’hygiène, de l’absence de lieux d’aisance et du confinement qui favorisent la contagion, du rationnement de la nourriture. Les morts sont dues le plus souvent à la variole. A chaque traversée la mort prélève aussi son quota parmi les équipages des navires. Au XXe siècle, on impose la présence d’un ou plusieurs gendarmes à bord sur certains trajets, pour surveiller les engagés, notamment pendant les escales. En effet, sur la ligne de Djibouti, les arrêts à Madagascar sont nombreuxet l’on constate fréquemment des fuites d’engagés yéménites et de quelques Comoriens dans les ports de Diégo et de Tamatave. Ceci laisse donc penser que leur départ n’était peut-être pas entièrement consenti. En ce qui concerne les Tonkinois venus en 1863 sur le Christophe Colomb et en 1868 sur la Sarthe, ils sont encadrés par des soldats pour éviter les évasions car il s’agit de prisonniers. Deux policiers accompagnent également le voyage du Kilwa en 1901, au cours duquel la plupart des engagés comoriens embarqués sont d’anciens esclaves.

Lors de son voyage de retour vers La Réunion, du 14 aout au 1er septembre 1852, le voilier Loterie perd 26 engagés africains. Ils succombent tous à la variole sauf un qui décède d’apoplexie. Cette forte mortalité est caractéristique des recrutements en Afrique à cette époque.

Les routes maritimes Est

De 1848 à 1860-61,   le nombre de navires abordant La Réunion augmente régulièrement pour
décroître progressivement et de façon irrégulière à partir de 1862-63. Ce sont essentiellement des navires qui viennent de France, les ports d’armements les plus importants sont Nantes, Bordeaux, Marseille et Belle-Ile. Cette situation est héritée essentiellement de la pratique, jusqu’au début du XIXeme siècle du régime de l’exclusif aussi appelé pacte colonial qui règle les échanges (importation-exportations) et stipulent que le marché colonial est fermé aux marchandises étrangères. Les produits coloniaux ne peuvent être écoulé qu’en métropole. Dans la perspective d’une liaison avec La Réunion, deux schémas de déplacement sont alors possibles : une liaison pour se charger de productions locales mais aussi amener des marchandises ; une fois touché La Réunion, une liaison avec l’Inde pour acheminer les Engagés. Les navires qui amènent des engagés la plupart du temps ont une cargaison en plus (riz,
boeufs, …) Ce type de navigation entre La Réunion et l’Inde constitue ce que l’on appelle le grand cabotage, terme qui fait surtout référence, malgré la distance relativement importante de l’Inde et de La Réunion, à la fréquence importante des échanges entre les deux destinations en constante augmentation entre 1848 et 1860.

Malgré l’absence d’un véritable port à La Réunion, les relations maritimes entre La Réunion et la France sont définitivement assurées en 1864 lorsque la compagnie des Messageries Impériales créée une ligne directe Suez-Réunion-Maurice pour le transport de la malle et des passagers. L’ouverture du Canal de Suez en 1869 permet d’étendre cette ligne jusqu’à Marseille, d’une part, l’Australie et la Nouvelle Calédonie d’autre part. De 1870 à 1890, La Réunion avec ses liaisons mensuelles avec Marseille et l’Australie, sa liaison trimestrielle avec Montevideo, fait figure d’important noeud de communication dans l’océan Indien. Pour cette période son cabotage avec l’Inde et Madagascar reste important.

Autour de 1895, le trafic maritime à La Réunion prend son aspect actuel : une liaison mensuelle ou bimensuellel avec Marseille via Madagascar. Les liaisons régulières avec l’Australie et l’Amérique du Sud ont progressivement disparu; ainsi que le grand cabotage avec l’Inde. Les relations avec Madagascar sont assurées par la ligne Réunion-
Marseille.

Les salaires de l’équipage courent du 1er février 1879 au 30 août 1880.
Il apparaît intéressant de comparer l’augmentation du mouvement maritime vers la France qui traduisent l’augmentation de la production de sucre à La Réunion et le mouvement migratoire lié à l’Engagisme. Le premier graphique permet de suivre l’évolution générale des échanges de 1850 à 1877. Pour établir plus facilement la correspondance avec le graphique ci-dessus nous isolons une partie de ce dernier (Tableau 3) pour composer le second graphique qui permet un effet de focalisation sur la période 1850-1860. La courbe des populations épouse pratiquement celle des navires entrants

Les routes maritimes Ouest

Les navires transportant des engagés sur les routes Ouest effectuent rarement des trajets directs, qu’il s’agisse de bateaux armés pour l’engagement ou de navires de ligne. Jusqu’en 1862, les Africains, Comoriens et Malgaches – il s’agit surtout d’esclaves africains des Comores et de Madagascar – sont très nombreux à être engagés pour La Réunion. Ils viennent essentiellement des grands ports de traite négrière (Nosy-Bé, Majunga, Maïntirano et Tuléar pour Madagascar, Inhambane, Quelimane, Mozambique, Ibo pour le Mozambique, Lindi, Quiloa, Zanzibar pour les Etats du Sultan et des quatre îles Comores). Les recruteurs réunionnais effectuent souvent une escale dans l’archipel des Comores puis se dirigent vers les côtes du Sultanat de Zanzibar ou du Mozambique et terminent par la côte Ouest de Madagascar. Parfois ils effectuent une circumnavigation autour de Madagascar. Malgré la relative proximité avec La Réunion, ces voyages peuvent donc durer plusieurs semaines et s’avèrent très pénibles pour les engagés. En effet, les recruteurs cherchent à faire le plein et n’hésitent pas à se dérouter, notamment pour remplacer les engagés morts à bord. N’oublions pas que cette route maritime occidentale a également vu venir des engagés en provenance de France et d’Europe dès le début de l’engagisme. Dans les années 1850, ces engagés européens naviguent de longues semaines autour de l’Afrique avant d’atteindre La Réunion. A la voile, le voyage prend jusqu’à trois mois. Ces engagés peuvent également transiter par l’Egypte mais doivent alors débarquer à Alexandrie et prendre le train jusqu’à Suez avant que le Canal ne soit percé, en 1869.

De 1860 à 1887 le recrutement à Madagascar, aux Comores et en Afrique est officiellement interdit mais des recrutements mineurs ont lieu dans les petites colonies françaises de Nosy-Be et Mayotte. Quelques navires pratiquent aussi plus ou moins discrètement des enlèvements ou des achats d’esclaves dans les ports négriers malgaches. En 1887 le recrutement est réautorisé au Mozambique, principalement dans les ports du Sud comme Lourenço-Marques. Cependant, à cause de la concurrence avec l’Afrique du Sud qui recrute pour ses mines, cette source se tarit rapidement.

De 1888 à 1908, les plus gros convois viennent des Comores – Grande Comore surtout et Anjouan. Il s’agit pour partie d’esclaves libérés lors de la colonisation française, comme sur le Kilwa, affrété pour l’occasion. Les autres arrivent sur des navires des Messageries Maritimes. La traversée en vapeur depuis les Comores dure environ 8 jours avec les escales mais le Kilwa met 11 jours sans escale à cause du mauvais temps.

A partir de 1900 et jusque dans les années 1920, des engagés du Golfe d’Aden sont embarqués sur les vapeurs réguliers qui font escale à Djibouti. En effet, depuis 1882 il existe une ligne régulière Marseille-Djibouti-Mahé-La Réunion- Maurice-Australie-Nouvelle-Calédonie de la Compagnie des Messageries Maritimes. En 1887 est ouverte la ligne Marseille- Djibouti-Madagascar (Majunga, Nosy-Be, Diégo-Suarez, Tamatave)-La Réunion-Maurice. Mais dès les années 1850, quelques Yéménites, Arabes et Somalis sont embarqués à Aden, Mascate ou Obock pour venir travailler à La Réunion
De 1922 à 1925, on fait venir des Antandroys du Sud de Madagascar. Ils sont tous embarqués à Fort-Dauphin sur des navires de la Compagnie Havraise et Péninsulaire. Le trajet vers La Réunion est direct car les navires sont affrétés spécialement pour eux.
Le Charles, grand trois-mâts nantais de 456 tonneaux transporte 272 Africains de Quiloa vers La Réunion en février 1859 avant de rapatrier 21 Indiens à Pondichéry en mai 1859.
Il transporte aussi des marchandises européennes vers La Réunion et Mayotte.

Connaître les migrations et voir se dessiner La Réunion d’aujourd’hui Les statistiques permettent aussi de cerner la catégorisation ethnique des populations migrantes. Après 1848 et jusqu’en 1881, les catégories d’immigrants indiquent les lieux d’origine sans référence précise pour les pays. Ils sont « indiens », « chinois », « africains », ou « indigènes ». On trouve également des indices de statut comme « domestiques », « immigrants » et, en 1877, une étonnante catégorie mixte « engagés indigènes » terme que l’on retrouvera en 1892, 1902 et 1907.

A partir de 1866, malgré la volonté de procéder à un recensement identique à celui organisé en Métropole, on continue à fabriquer une ethnicisation de la population immigrante à partir des origines et du statut occupé dans l’île.
De 1881 à 1936, les catégories renvoient davantage à l’origine, réelle ou supposée, des individus : Indiens, Malgaches, Cafres, Chinois et Arabes. Les Cafres désignent dans ces statistiques la population d’origine africaine en lien direct avec cet ethnonyme regroupant au cours du XVIIe et XVIIIe siècle les nations sauvages. Aujourd’hui le terme de « Kaf » revêt une connotation identitaire forte le rapprochant plus du terme de « négritude » qui rassemble la population noire ou africaine et malgache de l’île. Quant au terme « Chinois », il rassemble très largement les populations venant d’Asie, en dehors des Indiens. Dans le sens créole, « Sinoi », cette catégorisation regroupe les populations chinoises et vietnamiennes, quelle que soit la date de leur arrivée dans l’île.

Dans le recensement de 1887 apparaît le terme « Arabes » qui désigne en fait des populations indo-musulmanes qui arrivent dans un premier temps de la région du Gujerat comme engagés ou volontaires. Par extension, le terme de « Zarab » désigne aujourd’hui la totalité des Musulmans de l’île, quelle que soit leur origine.

Ainsi, durant les premières décennies du vingtième siècle, la société réunionnaise se trouve dotée des composantes humaines fondamentales qui vont être les siennes aujourd’hui. Toutes issues d’un voyage, d’une migration.

Le démantèlement des grands domaines sucriers et la généralisation du colonat partiaire met fin à la recherche de maind’oeuvre extérieure et donc aux mouvements migratoires. La départementalisation fait disparaître la plupart des spécificités administratives de l’époque coloniale ainsi que la catégorisation ethnique qui était encore utilisée fréquemment dans les recensements.

La Confrérie des gens de la mer tient à remercier toutes celles et ceux qui se sont associés de près ou de loin à la réalisation de l’exposition « Avant les Lazarets, le voyage », et tout particulièrement :
Catherine Chane-Kune, Sylvie Réol, Jehanne Émmanuelle Monnier, Michèle Marimoutou-Oberlé, Marie Venner de Sigoyer, Jean Barbier, Laurent Hoarau, Stéphane Aubert, Olivier Fontaine, ainsi que les équipes de la ville de La Possession ainsi que celles de la Direction de la promotion culturelle et sportive et du service technique du Conseil général de La Réunion.

La Confrérie des Gens de la Mer est une association loi de 1901 dont l’objet est le recensement, l’étude et la préservation du patrimoine lié à l’histoire maritime de La Réunion et de la zone sud de l’océan Indien. Créée en 1996 par Eric Venner
de Bernardy de Sigoyer, elle se compose de bénévoles qui ont tous passé des qualifications techniques en archéologie subaquatique. L’association mène des opérations de sensibilisation à cette histoire maritime auprès du public, des
médias et des décideurs politiques. Les éléments de ce patrimoine maritime de La Réunion se trouvent sur le littoral de l’île, dans la zone qui a été la plus touchée par l’urbanisation depuis les années soixante et surtout depuis la fin des années quatre-vingt.

Les opérations archéologiques subaquatiques ont essentiellement pour objet de localiser des épaves de navires naufragés, mais également des infrastructures immergées telles que des ponts débarcadères. Les opérations archéologiques terrestres ont pour but de retrouver et de délimiter les sites des anciennes fortifications côtières qui s’échelonnaient autrefois sur tout le littoral de La Réunion aux endroits de débarquement. Au terrestre comme au subaquatique, les deux types d’opérations archéologiques effectuées par la Confrérie des Gens de la Mer, consistent en prospections et en sondages. Elles ont lieu après accord de la DRAC Réunion.
Les opérations archéologiques terrestres ont notamment impliqué des sondages archéologiques effectués sur deux sites présumés d’anciennes batteries côtières de la baie de Saint-Paul, datant respectivement du XVIII e siècle et du début du XIXe siècle. L’activité archéologique sous-marine de la Confrérie jusqu’à présent, comprend des prospections archéologiques sur de vastes zones, telle la rade de Sainte-Rose, sur des vestiges d’appontement comme ceux de la Possession et de Saint-Paul et sur des épaves de navires, parmi lesquelles celle du Warren Hastings à Saint-Philippe, du Keranna aux Aigrettes, et du Limpopo à Sainte-Marie. Des sondages archéologiques ont été également effectués sur une épave non encore identifiée de la baie de Saint-Paul. Ces opérations archéologiques permettent, en complément des sources d’archives souvent lacunaires, de mieux connaîtrel’ancienne activité maritime de La Réunion et l’histoire de sa défense qui sont étroitement liées.

La Confrérie des gens de la mer tient à remercier toutes celles et ceux qui se sont associés de près ou de loin à la réalisation de l’exposition Avant les Lazarets, le voyage, et tout particulièrement :

Catherine Chane-Kune, Sylvie Réol, Jehanne Émmanuelle Monnier, Michèle Marimoutou-Oberlé, Marie Venner de Sigoyer, Jean Barbier, Laurent Hoarau, Stéphane Aubert, Olivier Fontaine, ainsi que les équipes de la ville de La Possession ainsi que celles de la Direction de la promotion culturelle et sportive et du service technique du Conseil général de La Réunion.

 

La Confrérie des Gens de la Mer

La dynastie KERVEGUEN

La famille Kerveguen arrivée à Bourbon à la fin de la Révolution Française, modifiera pendant un siècle le paysage agricole, économique et financier de l’île. Au fil des générations, son empire s’étendra par le biais de mariages avec de riches héritières, de plus elle s’alliera aux puissantes fortunes locales dont les De Mahy, Desbassayns, ou encore Adèle Ferrand. Le nombre d’acquisitions foncières, d’activités commerciales de l’empire Kerveguen, les unes plus lucratives que les autres, en donnerait le tournis si on devait toutes les nommer.

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Estuaire de la Rivière d’Abord – St Pierre

Le premier Kerveguen ou K/Veguen, arrivé dans l’île en1796 s’appelait Denis-Marie le Coat de Kerveguen. La Révolution pousse ce fils de bourgeois ruiné, à fuir la Révolution française et à faire fortune dans les colonies. Bourbon est une colonie, grenier des Mascareignes, habitée depuis à peine 150 ans où tout est encore à faire. Débarqué dans l’estuaire de La Rivière d’Abord, il s’installe à Saint-Pierre même. Il ouvre un commerce de détail, avant de se lancer dans l’import-export et le commerce d’épices.

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Fleurs de Giroflier-Ecomusée Au Bon Roi Louis

Quelques années plus tard, il se marie à une créole fortunée, Angèle-Césarine Rivière qui lui apporte une dot : les propriétés de Manapany et Saint-Joseph. C’est le départ
d’ une nouvelle aventure, celle du sucre, en cultivant également des épices comme le girofle. De ce premier mariage naissent 4 enfants, dont Gabriel et Augustin mais leur mère décède en février 1815. Denis tente alors plusieurs expériences commerciales, tissus, boulangerie, prêts avec intérêts tout en développant ses activités agricoles.

Déjà fortuné, Denis se marie pour la deuxième fois à une riche héritière, Geneviève Hortense Lenormand qui lui apporte une dot encore plus conséquente que la première épouse dont le domaine des Casernes. Les terres à cannes et à épices s’étendent et le nombre d’esclaves sous sa coupe augmente, il sera père de trois autres enfants dont Denis-François.

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Vestiges de l’usine des Casernes St-Pierre

L’ainé des garçons, Gabriel se révèle bon commerçant et doué pour les affaires. Il seconde efficacement son père dès 1820, lorsque celui-ci meurt en 1827, il laisse une
« fortune solidement établie », une centaine d’esclaves (comptabilisés dans la succession), 330 hectares de champs cultivés en cannes à sucre et en épices et une fortune de plus de 1,2 millions de livres.

Gabriel à 27 ans gère les affaires de la famille de main de maître, fait construire une usine sur le domaine des Casernes où il édifiera le premier alambic et la première distillerie. Trois ans plus tard, il est propriétaire d’une maison à St-Louis, de l’ensemble des terres de culture partant de Saint-Louis et au Tampon, où il s’installe pour gérer les nombreux hectares de terres. Il exploite et commence à spéculer sur le café.

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Port de St-Pierre

En 1829, avec son frère Augustin, Gabriel développe son entreprise d’import-export en achetant un premier navire « Le Renard ». D’autres suivront. Concessionnaire d’une marine, ils se lancent dans le commerce avec les pays de la zone Océan Indien jusqu’en Chine et en Métropole. Les prix pratiqués sont élevés pour les autres commerçants et planteurs qui doivent eux aussi exporter leurs marchandises. Pour faciliter encore plus ses échanges, Gabriel pense déjà à un projet de port pour Saint-Pierre et propose des plans au Gouverneur Darricau.

A 31 ans, Gabriel se marie avec Anne-Marie Chaulmet qui lui apporte le Domaine de la Ravine des Cabris. Il a un fils Denis-André et une fille Emma, qui deviendra la Marquise de Trévise en épousant le grand Chambellan de Napoléon III. Les deux frères Augustin et Gabriel se lancent dans la politique, ils sont élus à St Joseph et St Pierre

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Usine centrale de Kervéguen à Quartier Français-Roussin 1884-Album de La Réunion

Gabriel fin stratège, investit dans le foncier. St-Louis, St-Pierre, St-Joseph jusqu’au Baril, les limites géographiques ne le gènent guère, il achète l’usine de Quartier- Français à Ste-Suzanne, en 1834. Spéculation encore, à cette époque les banques et organismes de prêts, n’existent pas. En plus de ses revenus assurés, Gabriel va emprunter de l’argent à un faible taux et le prêter à un taux plus élevé. Rien n’est fait à la légère, les biens sont hypothéqués et les colons bientôt face aux difficultés financières doivent quitter leurs propriétés.

Vers 1840, la fortune des Kerveguen dans le Sud est aussi puissante que celles des Desbassayns ou des Rontaunay. Les hauts de St-Louis, de St-Pierre, le Bras de Pontho, Montvert tombent dans leurs escarcelles.

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Usine du Baril -St-Philippe

Dans chaque ville, des magasins d’import-export, présentant un choix de marchandises au détail, quincaillerie, produits de première nécessité, affaires de toilette et même des soieries sont en vente et deviennent incontournables. Encore une manière de gagner de l’argent, à l’approche de l’abolition de l’esclavage, les petits planteurs tentent de se défaire de leurs esclaves, bien informés des indemnités qui seront versées par l’Etat, Gabriel les rachète globalement.

Lorsque le demi-frère de Gabriel, Denis-François est élu à la mairie de St Pierre, Gabriel met à disposition des esclaves et les moyens financiers pour faire construire des routes, des canaux d’irrigation (canal Saint-Étienne) et d’alimentation en eau pas seulement pour lui mais aussi pour leurs environs.

En 1855, il possède en plus de l’usine de Quartier-Français, celles de Piton St-Joseph, la Chapelle Cocos de St-Louis et Casernes à St-Pierre.

Pour payer ses nombreux engagés sur ses propriétés, usines et distilleries du Tampon, de Mon-Caprice, de Saint-Louis, d’Etang-Salé, de Quartier-Français ou des Casernes refusant papiers et bons, fort de sa puissance financière, Gabriel de Kerveguen utilise des Kreutzers, pièces autrichiennes démonétisées qui s’appelleront Kerveguen.

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Kreutzer ou Kerveguen-Ecomusée Au Bon Roi Louis

Il donne des terrains et des sommes importantes aux autorités religieuses avant son départ pour Paris où il décède en 1860. Il laisse à son fils Denis-André et à son petit-fils Robert, un domaine extraordinaire qui couvre les hauts entre 150 et 1000 mètres d’altitude depuis Saint-Louis, de St-Pierre jusqu’à St-Joseph et 16 usines.

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L’entrepôt Kerveguen au siège des Taaf St Pierre

Les héritiers investiront encore dans le foncier à Vincendo, Ravine des Cabris ou encore Bras Martin. Mais en 1879, les pièces étrangères sont interdites sur le territoire et Denis-André doit rembourser à l’Etat 814 000 Kreutzers qu’il avait continué à introduire dans l’ile alors que l’autorisation n’ avait été donnée que pour 250 000 de ces pièces d‘argent.

Abandonnant la doctrine de la famille « ténacité et labeur », Robert paie les dettes et liquide les propriétés les unes après les autres avant de gagner définitivement la France où la famille a une propriété.

Sources :

Histoire d’une dynastie insulaire les K/Veguen avant les de K/Veguen- Philippe Pluchons/dir.Wanquet- Université de La Réunion

Etude de géographique et humaine “L’île de la Réunion”, Jean Defos du Rau

Sudel Fuma, dans « Une colonie île à sucre » « L’homme et le sucre à La Réunion »

Sabine THIREL

L’histoire de St André du XVIIIe au XXe siècle

 

    L’île était déserte avant 1663, année de l’arrivée de Louis Payen et de Pierre Pau. Lors de l’installation de la colonie de 1665 à 1667,  les colons durent obéir aux ordres du gouverneur, Etienne REGNAULT. Les premières communes à être peuplées furent St Paul puis Ste Suzanne et St Denis.

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1879 centre ville/environs de l’école des Frères

 La commune de St André restera célèbre comme le bastion de la contestation contre-révolutionnaire.

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ancienne minoterie de Cambuston

 En 1779, projet de révolte pour la « Pentecôte » : but : éliminer tous les blancs réunis dans l’église. Les soldats de la garnison viennent affronter la révolte : 13 esclaves arrêtés seront détenus au bloc : (en fait des voleurs), 2 brûlés, 2 pendus puis brûlés

 En 1790, il y aura les camps Welmant (populaire qui rejette le nouveau régime) contre Brunet (notables, « honnêtes gens.. ») . Sera alors établie la « garde nationale ». Un conciliateur, le curé Rollin s’essaiera à réunir les 2 partis.

 Le bruit court alors que les esclaves ont le désir d’égorger les blancs. A vrai dire ils sont largement majoritaires, et les intentions de révoltes sont nombreuses.

 1792 : élection de Pignolet comme maire

 1793 : on foule au pied la cocarde tricolore. Mathurin Robert est alors à la tête de la « garde nationale » Il sera ensuite accusé d’être le chef d’un mouvement contre-révolutionnaire.

 1830 : 1e crise sucrière dûe à un endettement excessif et aux cyclones.

1832 : journaux clandestins

 20 Décembre 1848 ; journée très calme à St André

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maison Bellier à Bois Rouge/J.P Saint Aubin

 24 Août 1912 : St André est alors le foyer de la contestation ouvrière. Un syndicat défend alors les intérêts professionnels. Il voudrait l’ouverture d’un bureau de placement, refuse l’exploitation des travailleurs et est porteur d’un projet de démocratie sociale.

1914 : grève à l’usine de Ravine Creuse pour une augmentation de salaire

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Usine de Ravine Creuse/Coll Boulogne, Patel et Bazin

20/03/1915 nouvelle grève (renvoi de journaliers)

 1926 Renaissance du mouvement syndical sur l’usine sucrière de  bois Rouge : toute journée d’absence est considérée comme une démission, toute pièce ratée est facturée aux ouvriers…et il n’ ya alors aucune protection sociale. Le responsable du syndicat est licencié

1928 Le sucre se vend mal. La contestation reprend au niveau des planteurs.

1930 nombreux syndicats agricoles

 1935 : 1500 planteurs se regroupent (baisse de production et trop d’impôts). Ils décident le 9/03/1936 de faire un syndicat d’exploitants agricoles, dont le Président sera Maurice Bédier

Un autre syndicat s’occupera des journaliers sous la responsabilité de Gabriel Virapin

 1936 Mise en place du front populaire :

Avril 1936 Election, avec beaucoup de blessés de Lucien Gasparin

20/12/1936 : Vivre le front populaire ! A bas le maire  Martin Léopold

 

P.L

Découverte historique à St Paul

Après les ancres, canons et squelettes découverts en 2007 devant le cimetière marin à la suite du cyclone « Gamède », des ouvriers de la SBTPC occupés à la réfection de la chaussée de la rue François Lenormand ont senti une résistance sous leur pelle mécanique…
Emmanuel Metro, le chef de chantier, a alors décidé de tout arrèter et de poursuivre la reconnaissance de « l’objet » par une fouille manuelle.

C’est ainsi qu’a à peine un mètre de profondeur, fut mis à jour un ouvrage circulaire sur 2 niveaux en pierre de taille.L’historien Bernard MAREK diagnostiqua qu’il pouvait s’agir de l’axe d’un moulin vu la proximité du magasin de la « Compagnie des Indes », situé à l’emplacement de l’actuelle mairie, où on entreposait café et coton. Il formule aussi d’autres hypothèses possibles : et s’il s’agissait du socle d’une fontaine ? ou encore d’un puits ? Une chose est sûre : cette trouvaille date d’au moins 150 ans ce qui la ferait exister autour des années 1850 et son état de préservation est remarquable sans doute grâce à l’environnement sablonneux. Mais comment se fait-il que cet ouvrage se soit autant enfoncé se dissimulant aux regards ? Serait ce le résultat des multiples inondations et autres raz-de-marée de la zone ?

En tout cas, la député maire Huguette Bello et les représentants de la DRAC décident alors d’interrompre les travaux ébauchés à la grande déception du chef de chantier et de poursuivre les fouilles. C’est alors qu’on va faire apparaitre des anneaux métalliques
scellés sur la partie supérieure ce qui pourrait laisser penser cette fois à un puits, avec un couvercle de pierre…

Place aux recherches donc : des mesures topographiques et stratographiques s’imposent et peut être un petit tour aux archives pour en avoir le coeur net.

Patrice LOUAISEL

Salazie : un cirque légendaire…

 

Certaines légendes ont la vie dure. Salazie en connait quelques unes et pas des moindres.

 

 
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Eglise de Salazie

La Paroisse de Salazie est créée en 1838 et la première pierre du soubassement de l’église en bois, est posée le 11 octobre 1840 par le Contre Amiral De Hell. L’église est construite par Louis Cazal, sur la propriété de Jean-Baptiste Malvoisin. Les murs de la deuxième église sont montés autour de l’ancienne par les habitants. Les caractéristiques du monument sont ses deux tours en béton et maçonnerie. A chaque agrandissement, les murs sont montés à l’extérieur

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la cathédrale de Reims

L’église est copiée sur l’architecture de la cathédrale Notre Dame de Reims. La personne à l’origine de cet édifice est Méry Payet (décédée en 1971, à 78 ans), fille d’Yvrin Payet, notable bien connu dans le village et futur propriétaire de l’usine de Quartier Français. Cette jeune habitante de Salazie a été infirmière à l’hôpital de Chateau Thierry, près de Reims. Très croyante et pratiquante, elle fait un pèlerinage à la Cathédrale de Reims où ont été couronnés les rois de France. Elle souhaite entrer dans les ordres mais divorcée cela lui est refusé. Lors de ce pèlerinage Méry Payet fait un vœu et celui-ci est exaucé.
De retour dans l’île, elle demande à son père de construire une nouvelle église qui ressemblerait à celle de Reims. Ainsi, elle aurait l’impression de continuer à prier dans un univers connu. Son père lui accorde ce privilège. Il donne le ciment et la main-d’œuvre et avec les moyens de l’époque, la construction commence vers 1920 d’après une photo que la jeune femme a rapportée de son voyage. La durée du chantier est indéterminée. Il semble que Méry soit également l’instigatrice de l’inscription « Chez nous soyez reine» apposée sur la façade de l’église.

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Le Père Bourasseau bénit l’actuelle église de Salazie, le 2 octobre 1941.
Le Père Gabriel Charles Octave Bourasseau de la Congrégation du Saint-Esprit est né en 1902 à Luçon (Vendée). Ordonné prêtre en 1933 puis missionnaire à Madagascar, il arrive à La Réunion en 1935. Nommé à Salazie en 1936, il bénit l’église en 1941. Décédé le 4 mai 1957, le Père Bourasseau repose dans une tombe située derrière l’église. Elle est couverte d’ex-voto et remerciements. En effet, plusieurs personnes y viennent pour demander des grâces et remercier pour les vœux exaucés.
D’après Prosper Eve, dans « La Religion populaire à La Réunion » Université de La Réunion, « Hormis les Saints, un autre culte perce (…) voué à des personnages (religieux) non canonisés. (…) Dès qu’un prêtre meurt, les messes sont demandées pour le repos de son âme »

D’autres tombes connues se trouvent au cimetière d’Hell-Bourg, celles du poète Auguste Lacaussade, du poète écossais William Falconer et du brigand Volcenay Zitte . La tombe de Volcenay Zitte est facilement identifiable, par la grosse pierre surmontée d’une croix qui y est mise. Cette tombe contient le corps du terrible bandit. En 1919, le bandit Zitte sévit dans l’ouest de l’ile. Il agresse, vole, assassine et brûle tout ce qu’il veut. Les Réunionnais sont terrifiés. Recherché par les forces de l’ordre, il se cache chez sa sœur. Cependant, de connivence avec les gendarmes alors qu’elle le reçoit chez elle à Marla, une embuscade est tendue, il est blessé et arrêté.
Transporté par brancard, Zitte déchire son ventre avec ses ongles et décède à Grand Sable. Son corps est ramené à Hell Bourg pour autopsie, il y sera enterré.

Mais sa tête est portée à Saint-Denis pour identification. Elle est enterrée dans une des trois tombes qui forment le petit espace hors du cimetière de l’Est à Saint-Denis, au carré des condamnés à morts. Condamnés par la justice des hommes, ils ne reposent pas avec leurs concitoyens. Ce carré des condamnés est toujours fleuri. « Selon la légende, l’âme de Zitte est condamné à errer, ne retrouvera pas le repos tant que sa tête ne sera pas réunie à son corps. La tombe de Zitte fait parfois l’objet de rituels nocturnes au cours desquels les adorateurs déposent un verre de rhum, des cigarettes et des cônes d’encens ». Pour Prosper Eve dans la croyance populaire « L’âme de celui qui ne reçoit pas de sépulture est donc condamné à errer et à influer néfastement sur les vivants. Tous ces africains, ces malgaches venus à la Réunion ont l’habitude de professer un culte à leurs ancêtres. Pour eux, le mort est sacré. Qu’il ne soit pas admis dans le concert des ancêtres, en étant inhumé de manière digne est inadmissible : L’outrage suprême est bien de malmener le cadavre, de le priver de sépulture, de désacraliser le mort. »
Après sa mort, Zitte est devenu un mythe à Salazie, dans les hauts de Saint-Paul et dans toute l’île.

Sources :
Posper Eve « La Religion populaire à La Réunion » Université de La Réunion
La cause des victimes, approches transculturelles : Ile de la Réunion et … Geneviève Payet, Jean-Loup Roche
Patrimoine des Communes de La Réunion. Flohic Editions- septembre 2000

Sabine Thirel

L’attaque anglaise de Ste Rose

En 1806, les Anglais sont bien décidés à s’emparer des Mascareignes. Croisant au large, ils se rapprochent de plus en plus des côtes, s’enquièrent des forces présentes et attaquent Sainte Rose.

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Débarcadère de Ste-Rose fin XIXe siècle (photo Famille Du Mesgnil)

En Europe, Napoléon Bonaparte étend son territoire mais sa flotte se fait écraser à Trafalgar. Les Anglais prennent un à un, les comptoirs français de la côte indienne et les Seychelles. Forte de sa place de première puissance maritime mondiale, la Marine anglaise du général Baird prend le Cap de Bonne Espérance au Hollandais, en 1806. L’île Bonaparte (La Réunion) peu armée, sujette à un blocus des anglais peut difficilement communiquer avec sa voisine l’île de France (Maurice), une importante flotte croise au large de ses côtes. Ils constatent la précarité des installations militaires, seules quelques batteries sont entreposées sur le littoral et peu de moyens humains. Le blocus séparant les îles, amène le gouverneur Des Bruslys à revoir les points stratégiques de l’île, il sait que les moyens de défense sont trop faibles. Decaen, gouverneur général établi à l’île de France met à sa disposition quelques milliers d’hommes armés dont des miliciens, quelques civils blancs pauvres et libres de couleur inexpérimentés.

Jusqu’en 1808, les forces en présence s’observent. L’ennemi profite de l’escale commerciale d’un navire arabe pour franchir le pas. Menacé dès qu’il quitte le port, le capitaine arabe veut se mettre à l’abri des deux batteries de Sainte-Rose. Mais il se positionne entre la batterie principale et les navires anglais. Les militaires à terre ne peuvent tirer sans le mettre en péril. Les Anglais à l’abri des tirs des canons, entrent à leur tour dans la baie sans être inquiétés. L’équipage du navire arabe est exterminé et des marins se jettent à la mer pour échapper à la mort. On ne repêche qu’une vingtaine de survivants. Les Anglais depuis le navire arabe mitraillent la Marine de Sainte-Rose et les batteries avant de reprendre le large.

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La Batterie face à la mer

Le 4 août 1809, les forces anglaises occupent Rodrigue, en font un port d’attache qui va leur permettre de regrouper leurs forces et d’attaquer les Mascareignes. Le gouverneur général Decaen sait que les forces dont il dispose ne sont pas suffisantes pour affronter l’escadre Rowley (huit navires). L’île Bonaparte est de plus en plus isolée et commence à manquer de provisions. Les guetteurs et les sentinelles remarquent des allers et venues de navires anglais rodant au large des côtes. Une autre bataille se prépare à Sainte-Rose.

Le 8 août, la frégate, « La Néréide » et la corvette, « Le Saphir », sous les ordres du jeune commandant Corbett s’approchent de Sainte-Rose. Le petit port essuie les premiers coups de canons. Le 11 août 1809, les deux navires contournent l’île par le nord et reviennent à Sainte-Rose puis disparaissent. Le 16 août, ils réapparaissent et s’approchent plus des côtes jusqu’à jeter l’ancre dans la baie. Le coup de semonce lancé depuis la batterie ne change pas la situation. Les chaloupes sont mises à la mer. La petite douzaine d’hommes armés riposte devant Sainte-Rose avant d’abandonner les positions. L’ennemi s’empare du village et détruit la batterie. Le maire est fait prisonnier. La lutte est inégale, malgré les pièces de mitrailles dont disposent les forces françaises. La population terrorisée par le nombre d’assaillants et le peu de moyens de défenses qu’elle détient, n’intervient pas. Les combattants se retrouvent à deux contre cent et les Français abandonnent bientôt le combat. Aucune intervention de la Garde-Nationale n’est constatée. Les Anglais dont l’équipage est atteint de scorbut réclament des vivres, des fruits et de la viande, en échange de la vie sauve. Les Anglais, maîtres de la situation, restent au mouillage face à la Marine. Le 17 août, une centaine hommes de la garde de Saint-Benoît arrive à Sainte-Rose mais regagne leur base.

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Le Mausolée de Corbett domine la Marine Le 18 août les militaires de la garde de Saint-Benoît sous les ordres d’Hubert-Delisle reviennent. Les Anglais encore dans la rade tirent sur eux mais ces derniers s’installent le long de la falaise qui surplombe la baie et mettent en échec les assaillants. L’équipage anglais, toujours malade, demande à acheter des vivres et Hubert-Delisle refuse de leur en vendre. Prenant le large vers Saint-Benoît, l’ennemi mitraille la vigie de Petit Saint Pierre sans l’endommager. Par un messager, il menace de bombarder toute la côte si les forces armées continuent à progresser. Finalement un accord est trouvé. Des vivres dont une grande quantité de citrons, sont livrés sur les navires et à terre les hommes armés se séparent.

Les renforts qui arrivent encore de Saint-Jean et de Saint-Denis, rejoignent la Garde nationale de Saint-Benoît. Le Capitaine Corbett depuis « La Néréide » et le « Saphir » ordonne de tirer sur la colonne qui progresse encore. Les Français ripostent et font beaucoup de dégâts sur les navires anglais qui lèvent l’ancre et quittent la baie.

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Magasins et Tour de Corbett – Début XXe siècle (photo Famille Du Mesgnil)

Mais ce n’est pas terminé, au fil des jours, le nombre des navires anglais augmente au large de la zone Est. Le 22 août, ils se positionnent encore une fois au large de Sainte-Rose. Les forces terrestres françaises combattent férocement et réussissent à repousser l’ennemi qui ne peut pas mettre pied à terre. Du 23 août au 12 septembre, les Anglais bloquent Sainte-Rose et s’acharnent à vouloir débarquer. A terre, plusieurs troupes se regroupent sous les ordres de Bouvet, pour les repousser et les forcent à ré embarquer. Le capitaine Anglais Corbett touché de plein fouet par un boulet de canon perd ses deux jambes et avant de mourir, il demande à être enterré à Sainte-Rose. Le monument Corbett se dresse au-dessus du débarcadère qui domine la Marine. Puis, les navires anglais quittent les eaux françaises. A la fin de l’occupation anglaise, lorsque les Anglais prennent le corps de Corbett, ils laissent le mausolée intact que les habitants de Sainte-Rose nomment la Tour de Corbett.

La Marine de Sainte-Rose est jusqu’au début du XXe siècle, le poumon du Sud Est de l’île. Des magasins de stockage sont construits. Des ponts sont installés surplombant entre autre la Rivière de l’Est. Les marchandises sont transportées à Saint-Benoît, puis par le chemin de fer jusqu’au port de la Pointe des Galets, nouvellement livré. Au fil du temps, les cyclones successifs emportent les embarcations, le débarcadère et les bâtiments des magasins dont il ne reste que peu de traces.

Sources :

-Dictionnaire Biographique de la Réunion n°2, Editions CLIP, 1995. L’Album de la Réunion, Antoine Roussin, 1860 à1869 …

-Mario Serviable-Histoire de La Réunion.1990.ed-OCEANS

-Daniel Vaxelaire : Le grand livre de l’histoire de La Réunion – Le grand livre de l’histoire de La Réunion – Ste Clotilde (La Réunion) : Orphie, 2003. – 2 vol.

Sabine Thirel

l’occupation anglaise à la Réunion

A partir d’août 1809, la pression anglaise augmente. Plusieurs points de l’île se trouvent sous le feu de leurs canons. Le 21 septembre, 6 navires de guerre ennemis passent dans la baie de Saint-Paul avant de s’éloigner vers la Pointe des Galets.

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Vue de la Baie de St-Paul. Litho. A. Roussin

Les Britanniques sont incontestablement les maîtres des mers en ce début de XIXe siècle alors que Napoléon Bonaparte est au pouvoir en France. La guerre s’éternise entre les deux pays. Lorsque la flotte Française est écrasée à Aboukir en 1798, elle perd la moitié de ses forces navales, puis en 1805 à Trafalgar, elle est entièrement détruite.

Dans la zone, les Anglais ont pris le Cap de Bonne Espérance en 1806, c’est la dernière escale avant l’océan Indien lorsqu’on vient de l’occident. Ils tiennent aussi les Seychelles et les comptoirs des Indes. Il ne reste plus que les Mascareignes comme positions Françaises. Ces îles ne vont pas tenir longtemps.

En 1806, les Britanniques tentent une attaque sur Saint-Gilles puis sur Sainte-Rose (cf. La bataille de Ste Rose). Ils manœuvrent, attaquent, débarquent et reprennent la mer. Ils essayent de savoir quelles sont les forces militaires en présence dans l’île. Ils savent alors que « seul le nombre pourra venir à bout de la vaillance des Bourbonnais ». Les navires anglais rodent aux alentours de Bourbon devenue Ile Bonaparte, le blocus s’accentue. L’île se trouve isolée du monde, les communications sont coupées, le ravitaillement supprimé. En plus du manque de produits importés, les avalasses s’abattent sur l’île. Ces pluies ininterrompues détruisent toute l’agriculture. La famine et les maladies progressent démesurément. En 1807, les Anglais tentent quelques attaques sans importance et s’enhardissent en 1808 en prenant un navire de commerce devant Sainte-Rose.

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Panorama de ST-Paul. Litho. A. Roussin

A partir d’août 1809, la pression anglaise augmente encore. Plusieurs points de l’île se trouvent sous les feux de leurs canons. Le 21 septembre, 6 navires de guerre ennemis passent dans la baie de Saint-Paul avant de s’éloigner vers la Pointe des Galets. Les 200 soldats des troupes Saint-Pauloises, ont eu chaud. En effet, ils possèdent un faible nombre de fusils, de canons et de munitions. Les militaires quittent leurs postes soulagés pensant probablement à une nouvelle manœuvre de diversion. La Garde nationale est rappelée à la capitale. Mais, lorsque le jour tombe, un poste de vigie remarque le retour des bateaux. Les Anglais sont là, les soldats français sont fait prisonniers sans qu’ils aient eu le temps de sonner l’alarme.

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Poudrière de St-Paul Les Britanniques mettent pied à terre au nord de la ville. Ils sont un millier. Ils se séparent. Un premier groupe de soldats passe par la plage pendant que l’autre emprunte le pont qui surplombe l’étang. Ils se retrouvent à la première batterie dont ils prennent le contrôle, puis progressent vers la ville et prennent une deuxième batterie. Les Français vaincus sans avoir lutté, se regroupent à la poudrière, dans le quartier de la Grande Fontaine. Un des premiers bâtiments de la ville construit en 1724 sur proposition de Labourdonnais, il abritait les armes, la poudre et les munitions. Il est dommage de constater le délabrement et l’abandon de cette pièce maîtresse du patrimoine Saint-Paulois, par son implantation hors de la zone inondable, par son architecture (double muraille, portes unique, voutes, épaisseur des murs, toit à double pans…) et par ses matériaux de construction (pierres de taille, briques réfractaires).

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Les navires après avoir débarqué les soldats ont regagné la baie et pointent leurs canons vers la ville. Saint-Paul est Anglaise. Le 22 septembre, 900 gardes nationaux venant de Saint-Denis et de Sainte-Suzanne, entourent Saint-Paul mais les Anglais posent un ultimatum au capitaine Saint-Mihiel selon lequel ils embraseraient la ville si les Français attaquaient. Hésitant le général des Brulys, Gouverneur ne sait quoi faire : attaquer ou protéger le reste de la colonie de l’envahisseur. Le Gouverneur, préférant le suicide à l’échafaud, se donne la mort dans le palais du Gouvernement le 25 septembre 1809. L’ennemi ne prend le large qu’au bout de 20 jours d’occupation en se chargeant de détruire les magasins de denrées et de produits d’exportation à coup de canon. Ils seront reconstruits.

En 1810, les navires Anglais se présentent de nouveaux devant l’île Bonaparte dont ils prendront le commandement jusqu’en 1815.

Sources : Aléxis Miranville-Saint-Paul De La Réunion – Histoire Et Mutations D’une Petite Ville Coloniale- Editions L’harmattan-2001
-Dictionnaire Biographique de la Réunion n°2, Editions CLIP, 1995. L’Album de la Réunion, Antoine Roussin, 1860 à1869 …
-Mario Serviable-Histoire de La Réunion.1990.ed-OCEANS

Sabine Thirel

St Joseph et ses « marines »

 

Cette ville du Sud isolée par d’un côté, une falaise et de l’autre, les coulées de laves du volcan « Piton de la Fournaise » s’équipe au XIXe siècle de trois Marines, Manapany, Langevin et Vincendo.

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La Marine Manapany – vue de dessus

Créée en 1785, la ville de Saint-Joseph possède une terre fertile et produit un grand volume agricole (épices, café, vanille et enfin sucre…). Les marines servaient à approvisionner les habitants en matière premières et en denrées non produites sur place. Mais elles servaient également à exporter les productions locales vers d’autres débarcadères, ports de l’île et même parfois directement vers la métropole.
La Marine de Manapany semble avoir été la plus importante. Construite en 1853, elle se situe à l’entrée de la baie formée à l’embouchure de la Ravine Manapany au pied d’une falaise abrupte. L’embarcadère est bâtie sur les propositions du Comte Kervéguen qui en est le premier propriétaire. Elle dessert les productions de la famille Kervéguen constructrice et propriétaire de plusieurs usines sucrières, de distilleries et aussi de féculeries à Saint-Joseph.

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La Marine Manapany

Face à la baie du « Petit coin charmant », se dressent, accrochés aux falaises de roches volcaniques, deux gros murs en pierres de taille et de moellons. Les productions de Kervéguen, propriétaire de l’usine de Vincendo, à proximité, passaient par ce débarcadère équipé de palans et de poulies. Les marchandises étaient transportées à dos d’hommes ou par charrettes tirées par des bêtes de somme.

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La Marine Langevin

La seconde Marine se trouve à Langevin à l’embouchure de la rivière du même nom. Baillif en est le propriétaire puisque la Marine est construite sur ses terres. S’agirait-il d’un descendant d’Etienne Le Baillif, pirate sur le Fancy du Capitaine Avery, débarqué à Bourbon en 1695. Les productions de l’usine de Langevin à proximité, passaient par ce débarcadère. Ses murs en basalte taillé sont noirs comme la roche sur laquelle ils sont implantés. Les incrustations blanches de chaux de corail sont couramment rencontrées dans les constructions de cette époque. En effet, le mortier était fabriqué à base de chaux, de sable et de galets. La cale de hallage est située plein Ouest pour éviter les entrées trop franches d’eau de mer. Ainsi, les pêcheurs peuvent entrer et sortir avec plus de facilités. En 1875, son propriétaire est Gustave Bourgine.

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La Marine Vincendo

Bien cachée par les pandanus (pinpins), l’embarcadère de Vincendo est à peine visible. Cet espace naturel n’a presque pas été aménagé. Pas de larges maçonneries ou de hautes murailles pour contrer les lames de la mer déchainée sur cette côte sauvage. Cet endroit présente la particularité d’avoir une plage de sable noir qui apparait et disparait selon les périodes de l’année. Cependant contrairement aux autres marines de la ville, sa position à l’extrême Sud de l’île, permet aux pêcheurs qui le veulent, de se rendre au large. C’est à Vincendo s’étaient installés les premiers habitants de Saint-Joseph à la fin du XVIIIe siècle.

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La Marine Manapany – vue de la baie

La construction et la mise en service du port de Saint-Pierre, comme l’arrivée du chemin de fer jusqu’à Saint-Joseph sonnent la fin des Marines dans cette région. Notons, que c’est Gustave Bourgine, lui-même, propriétaire de la Marine Vincendo qui, élu maire de la commune, obtient le prolongement de la voie ferrée Saint-Benoit -Saint-Pierre jusqu’à sa ville

Sabine Thirel

L’usine sucrière de « La Mare » :sur l’ ancienne concession d’Augustin PANON

L’usine sucrière de la Mare est construite, en 1854, par M. Adam de Villiers, déjà propriétaire de plusieurs sucreries dans l’île. Elle remplace les petits moulins privés (à bras ou à mulets) devenues trop vétustes de la Convenance, l’Espérance, la Confiance, des Cafés, de la Ressource, du Chaudron, de la Rivière des Pluies et bien d’autres.

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la Mare – Huile S.T

Le 6 avril 1697, Joseph Bastide, commandant de la Compagnie des Indes Orientales, attribue à Augustin Panon, la concession de la Mare dont le nom vient du plan d’eau, formé dans la petite ravine qui traverse l’endroit. Cette concession est limitée à l’est par la ravine, à l’ouest par la Rivière des pluies. Augustin Panon, époux de Françoise Chatelain, y installe sa famille. Joseph, son fils sera appelé « Panon la Mare ».
La canne à sucre est amenée à l’usine pour être broyée depuis les hauteurs de Sainte-Clotilde et de pratiquement toute la commune de Sainte Marie depuis la Ravine des Chèvres, Flacourt, Terre Rouge, la Grande Montée, Gillot, Moka dont les plantations de café ont été remplacée par la canne.

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Embouchure de la Ravine Charpentier

Pendant près de 50 ans, le sucre est acheminé jusqu’à la marine située sur le littoral de Sainte-Marie, à l’embouchure de la Ravine Charpentier. La marine a complètement disparue, il n’en reste aucun vestige. Le transport se fait manuellement, à dos d’hommes en charrettes avec des animaux de trait.

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L’usine de la Mare n’a pas connu l’époque de l’esclavage. Cependant, dans les années 1860, les engagés en majorité indiens sont les travailleurs de l’usine. Certains d’entre eux logent dans des paillottes, à l’arrière de la maison du directeur. L’autre camp des engagés du sucre fait de moellons, de chaux et de sucre se trouve de l’autre coté de la ruelle. Les longères sont séparées, en habitations présentant à l’avant un petit jardin souvent fleuri, et à l’arrière une petite cour occupée par des clapiers et des poulaillers.

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Les sucriers s’organisent en établissant leurs entrepôts près des marines de Saint-Denis où ils résident. Même s’il faut traverser la Rivière des Pluies à gué jusqu’en 1935, ils passent leur temps entre leurs plantations et leurs bureaux de la capitale. A l’apparition du chemin de fer de la Réunion en 1882, le sucre est chargé dans des wagons. La voie aménagée qui dessert l’usine, est reliée au réseau de chemin de fer qui passe en contrebas de l’usine. Alors, les wagons sont rattachés aux convois et tractés jusqu’au Port de la Rivière des Galets. Les sucreries de Bourbon, en deviennent propriétaire au milieu du XXe siècle. En 1958, l’usine sucrière de la Mare équipée de centrifugeuses automatiques et les régulateurs de vitesse, est la plus moderne de l’île.

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maisons de fonction

Les employés et techniciens de l’usine logent dans les maisons de fonction dont les ruelles débouchent face à l’usine. Pendant la campagne sucrière, ils doivent être disponibles 24 heures sur 24 et intervenir dans l’heure Si nécessaire. En ce qui concerne les travailleurs et les ouvriers, ils sont installés dans des petites maisons individuelles plus à l’ouest de la propriété. Leurs horaires de travail sont planifiés selon la méthode des trois huit. En revenant vers l’usine, regagnant la plate forme, 3 citernes de mélasse, destinée à la distillerie de la Mare, se postent devant le long bâtiment de la première usine en moellons et pierre de basalte où les ouvertures en demi-lunes grillagées servaient d’aération.
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Allée de Flamboyants – la Mare – Huile S.T

Plus vers l’usine, les bureaux de l’administration et de la comptabilité portent fièrement « 1697 » sur la façade. Il s’agit de la date d’attribution de la concession de La Mare à son premier occupant. Les balances à cannes se positionnaient à 2 des 3 entrées de la plate-forme. Tous ces bâtiments, structures et machines ont disparus. Les ateliers longent le chemin de sortie qui mène à la route nationale qui passait elle aussi au pied de l’usine. C’est là, au début du XXe siècle que les cérémonies indiennes s’effectuaient avant d’être déplacées vers un temple hors de la « Cour La Mare ». Lorsque que la petite distillerie ferme, la mélasse est transportée à celle de Savanna. Fin des années 1960, une fabrique de panneaux d’aggloméré de bagasse est testée pour récupérer les résidus de cannes. Le résultat est médiocre et la technique est abandonnée.

 
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Plate-forme de l’usine de la Mare

Une « boutique chinois » est incontournable sur la route de Sainte-Marie, d’autres boutiques, une école marron, à l’ombre des flamboyants qui se laissent voler la vedette par les panaches de vapeur formés par les jets d’eau chargés de refroidir les tuyaux de l’usine. Dans l’angle formé par l’usine et le bassin des jets d’eau, le laboratoire effectue des analyses des taux de sucre aux différentes étapes de sa fabrication. C’est là aussi que se trouve la sortie du sucre, en balles de goni de 80 kg, fermées par des ouvriers munis de grosses aiguilles recourbées. Les dernières années de fonctionnement, les camions s’approchent du tapis où le sucre tremblant sur le tapis de séchage se déverse directement dans les bennes et les silos des camions.

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L’usine est formée de plusieurs bâtiments, le bâtiment des moulins lui-même est précédé d’une large plate forme où dominent deux grappins dont un grappin américain monté dans les années 50 et la maison du directeur, longtemps maison mère du Groupe Bourbon, est occupée aujourd’hui par CBO Territoria. Cette grosse maison coloniale donne sur la plate-forme où sont déposées les cannes amenées à l’origine par des charrettes, puis des petits camions et enfin par des tracteurs à remorques ou des cachalots jusqu’à peu avant sa fermeture en 1982.

On a du mal à s’imaginer aujourd’hui, la surface du « Battant des lames » à environ 500 mètres d’altitude, de la Ravine des chèvres à la Rivière des pluies en passant par Gillot, recouverte de champs de cannes à sucre et de vergers. Sainte-Marie est la porte du « Bon pays ». Le pays des bonnes terres copieusement arrosées par les pluies bénéfiques mais aussi subissant l’érosion et les méfaits du mauvais temps comme les avalasses et cyclones. L’usine devient vétuste à son tour et avec le progrès, les récoltes de cannes à sucre de toute la région nord-est alimentent Bois Rouge.

La vie, la sueur et le sang de plusieurs générations de travailleurs, descendants d’engagés de toutes origines, descendants d’esclaves et de petits blancs ont été réduits à néant, écrasés et broyés par des engins de démolition. Aucune ruelle ne porte le nom d’un ingénieur, d’un directeur, d’un technicien ou d’un ouvrier de valeur qui a travaillé là (sauf Marinié). Aucune pancarte ne raconte l’histoire de ces gens qui ont fait La Mare, son rhum et son sucre. Sur cet espace de mémoire se montent des structures modernes qui abritent des bureaux qui continueront à effacer l’histoire.

Sources : LAVAUX (Catherine), La Réunion, Du battant des lames au sommet des Montagnes.
-Le Patrimoine Des Communes De La Réunion.Auteur:Collectif- Editeur : Flohic- Collection:Le Patrimoine Des Communes De France- 2000

Sabine Thirel

le polytechnicien Wetzell : promoteur de l’industrie du sucre

 

Joseph Martial Wetzell, Polytechnicien ingénieur français, célèbre à La Réunion pour ses recherches, méthodes et machines axées sur le développement de l’industrie du sucre. Le nom de l’inventeur de la chaudière à basse température et à rotateur, est marqué à jamais dans le milieu de l’industrie sucrière.

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Vestiges – Usine du Baril

Alors que l’île Bourbon se met à la culture et à l’exploitation intensive de la canne à sucre (1783-1848), Joseph Martial Wetzell nait à Arras le 27 octobre 1793. Il grandit à Paris où il est inscrit au lycée en 1808-1809. Reçu à l’école Polytechnique en 1812, il suit des cours de mathématiques, de physique, de chimie et de dessin industriel. Diplôme en poche, Wetzell débarque à Bourbon le 3 avril 1815 où il exerce les fonctions de professeur d’hydrographie et de mathématiques au Lycée de Saint-Denis. Malade, Wetzell rentre en métropole en 1819. Pour compléter sa formation scientifique, il visite près de 14 raffineries et fabriques, s’intéresse aux machines à sucre et aux presses à levier et prend des notes précises.

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Usine Desbassayns -St-Gilles les hauts

En 1828, Joseph Martial Wetzel décide de revenir à Bourbon où les moulins à vapeur sont en augmentation (en 1822, ils concernent 12 % des moulins ; en 1836, 65 %, en 1842, 72 % des moteurs et en 1847, 78 %). Wetzell demande une mission officielle au ministère de la Marine et des Colonies. Demande accordée. Il revient sur l’île le 11 janvier 1830. L’essor de la culture et de l’exploitation de la canne à sucre ont été secouées par des évènements comme le cyclone de 1829, la crise de 1830 et encore l’interdiction de la traite des esclaves en 1831. Plusieurs usines ferment ou changent de propriétaire. Chacun sait qu’une réforme des techniques de fabrications est nécessaire. L’administration coloniale ne recrute pas l’ingénieur qui lance alors une souscription pour ses travaux. La famille Desbassayns, Bellier et Rontaunay répondent favorablement, il se met donc à la disposition de ses souscripteurs. Les résultats positifs d’extraction de sucre et de mélasse des campagnes sucrières suivantes encouragent les autorités coloniales à lui proposer un accord.

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canal d’alimentation en eau – Usine Eperon

En février 1831, Wetzell est attaché au Conseil Général en qualité d’ingénieur chimiste. Mais ses travaux ne sont pas suffisamment financés et il n’est pas rémunéré. A partir de 1834, à Saint-Gilles les Hauts, dans la sucrerie de Mme Desbassayns, en qualité d’ingénieur libéral, il met en marche un appareil à 4 chaudières pour cuire le sucre à basse température au moyen de la vapeur du vesou, une amélioration à la fabrication du sucre tant en gain de temps que de main-d’œuvre. Le sucre de Bourbon va devenir le meilleur sucre colonial français. Dans les travaux de Wetzell, on perçoit son approche globale et moderne de la question du sucre.

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Machine Wetzell

En 1839, il est nommé par le gouverneur, membre du Comité d’Agriculture. Le 7 septembre, l’ingénieur assidu au travail, pose un brevet pour ces machines inventées après 1836, nommées « basses-températures, rotateurs, rotateurs-évaporateurs, chaudières Wetzell ou Wetzell » ou machine de fabrication à filtre ou encore nouveau système de purgerie. Il a aussi adapté des nouveaux procédés de presse et rentabilisé celui de la cuite du sirop.

Techniquement, la méthode de Wetzell est d’assécher le vesou en le chauffant, puis le faire cristalliser en évitant de trop chauffer, éviter de caraméliser le sucre et de manquer la cuite. D’après J-F Géraud, docteur en histoire, à l’Université de La Réunion : « Comment évaporer sans trop chauffer ? Wetzell propose à cuire le vesou épuré dans une chaudière à basse température. La chaudière de Wetzell associe deux éléments essentiels : un bac demi-cylindrique de cuivre, peu profond, qui reçoit le vesou, maintenu en principe à la température de 63° ; au-dessus, et dans l’axe longitudinal de la chaudière, un tambour cylindrique garni de baguettes, est animé d’un lent mouvement de rotation ; le tambour plonge légèrement dans le sirop, et par cette agitation favorise l’évaporation alors que la partie du liquide qui est entraînée retombe en gouttelettes refroidies qui empêchent la température de s’élever au-dessus de 60/63°. On peut ainsi achever l’évaporation sans trop chauffer ». Il s’agit d’un procédé solide, efficace, adapté aux conditions climatiques tropicales et moins cher que les machines importées. Le succès est immédiat, l’île est à la pointe de la technologie sucrière mondiale. De plus, ces machines à vapeur peuvent être conduites sur place par des esclaves qui assurent aussi bien la manœuvre que la maintenance. Par ailleurs, à partir de 1837, ils savent aussi réparer et fabriquer les rotateurs de Wetzell dans des ateliers locaux.

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Huile sur toile – S.T.

Les travaux de Joseph Wetzell, par une approche scientifique et mathématique, révolutionnent l’industrie sucrière à La Réunion. Il modernise et améliore les usines, conseille avantageusement les usiniers, assure la formation les utilisateurs des nouvelles machines. Ses avancées permettent de produire un sucre de qualité en réduisant la main-d’œuvre et le coût de fabrication. En 1841, la direction de l’Intérieur, sentant l’abolition proche, lui commande une enquête et une liste d’usines pour un regroupement des productions. Wetzell rejette tout choix fait précédemment par les mairies qui ne privilégient pas les critères de progrès techniques. De même, l’ingénieur voulant garder le contrôle de la modernisation des sucreries, refuse tout regroupement. Il écrivait : « La nature des choses et les circonstances fera seule les sucreries modèles, indépendamment de toute volonté ou désignations particulières ». La crise des années 1860 rendra la concentration des moyens inévitable.

Nommé à la Chambre Consultative d’Agriculture en 1852, puis en 1854, à la présidence de la Commission des Sucres à la Chambre d’Agriculture, il est chargé par Charles Desbassayns, président de la Chambre, d’une enquête sur les procédés de fabrication de sucre par usiniers. 21 établissements utilisent la cuite à basse température. En 1858, le système Wetzell est employé par 84 % des sucriers. Ces appareils fonctionnent jusqu’au début du XXe siècle à Mayotte, à Maurice ou aux Seychelles.

Le 10 décembre 1855, Wetzell a 60 ans, il se marie à Marie Henriette Louise Enault âgée de quatorze ans pour qui son père a demandé une dispense d’âge.

Joseph Martial Wetzell décède deux ans plus tard, le 6 décembre 1857 à Saint-Denis de La Réunion.

Sources : – Jean-François Géraud , Wetzell : une révolution sucrière oubliée à la Réunion, Revue historique des Mascareignes n° 1 p,113-156 AHOI/ Archives départementales de la Réunion 1998 .

- Sudel FUMA , Une colonie île à sucre-économie de La Réunion au XIXème siècle, La Réunion, Océan éditions,1989.

Sabine Thirel

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