L’usine sucrière de « La Mare » :sur l’ ancienne concession d’Augustin PANON

L’usine sucrière de la Mare est construite, en 1854, par M. Adam de Villiers, déjà propriétaire de plusieurs sucreries dans l’île. Elle remplace les petits moulins privés (à bras ou à mulets) devenues trop vétustes de la Convenance, l’Espérance, la Confiance, des Cafés, de la Ressource, du Chaudron, de la Rivière des Pluies et bien d’autres.

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la Mare – Huile S.T

Le 6 avril 1697, Joseph Bastide, commandant de la Compagnie des Indes Orientales, attribue à Augustin Panon, la concession de la Mare dont le nom vient du plan d’eau, formé dans la petite ravine qui traverse l’endroit. Cette concession est limitée à l’est par la ravine, à l’ouest par la Rivière des pluies. Augustin Panon, époux de Françoise Chatelain, y installe sa famille. Joseph, son fils sera appelé « Panon la Mare ».
La canne à sucre est amenée à l’usine pour être broyée depuis les hauteurs de Sainte-Clotilde et de pratiquement toute la commune de Sainte Marie depuis la Ravine des Chèvres, Flacourt, Terre Rouge, la Grande Montée, Gillot, Moka dont les plantations de café ont été remplacée par la canne.

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Embouchure de la Ravine Charpentier

Pendant près de 50 ans, le sucre est acheminé jusqu’à la marine située sur le littoral de Sainte-Marie, à l’embouchure de la Ravine Charpentier. La marine a complètement disparue, il n’en reste aucun vestige. Le transport se fait manuellement, à dos d’hommes en charrettes avec des animaux de trait.

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L’usine de la Mare n’a pas connu l’époque de l’esclavage. Cependant, dans les années 1860, les engagés en majorité indiens sont les travailleurs de l’usine. Certains d’entre eux logent dans des paillottes, à l’arrière de la maison du directeur. L’autre camp des engagés du sucre fait de moellons, de chaux et de sucre se trouve de l’autre coté de la ruelle. Les longères sont séparées, en habitations présentant à l’avant un petit jardin souvent fleuri, et à l’arrière une petite cour occupée par des clapiers et des poulaillers.

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Les sucriers s’organisent en établissant leurs entrepôts près des marines de Saint-Denis où ils résident. Même s’il faut traverser la Rivière des Pluies à gué jusqu’en 1935, ils passent leur temps entre leurs plantations et leurs bureaux de la capitale. A l’apparition du chemin de fer de la Réunion en 1882, le sucre est chargé dans des wagons. La voie aménagée qui dessert l’usine, est reliée au réseau de chemin de fer qui passe en contrebas de l’usine. Alors, les wagons sont rattachés aux convois et tractés jusqu’au Port de la Rivière des Galets. Les sucreries de Bourbon, en deviennent propriétaire au milieu du XXe siècle. En 1958, l’usine sucrière de la Mare équipée de centrifugeuses automatiques et les régulateurs de vitesse, est la plus moderne de l’île.

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maisons de fonction

Les employés et techniciens de l’usine logent dans les maisons de fonction dont les ruelles débouchent face à l’usine. Pendant la campagne sucrière, ils doivent être disponibles 24 heures sur 24 et intervenir dans l’heure Si nécessaire. En ce qui concerne les travailleurs et les ouvriers, ils sont installés dans des petites maisons individuelles plus à l’ouest de la propriété. Leurs horaires de travail sont planifiés selon la méthode des trois huit. En revenant vers l’usine, regagnant la plate forme, 3 citernes de mélasse, destinée à la distillerie de la Mare, se postent devant le long bâtiment de la première usine en moellons et pierre de basalte où les ouvertures en demi-lunes grillagées servaient d’aération.
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Allée de Flamboyants – la Mare – Huile S.T

Plus vers l’usine, les bureaux de l’administration et de la comptabilité portent fièrement « 1697 » sur la façade. Il s’agit de la date d’attribution de la concession de La Mare à son premier occupant. Les balances à cannes se positionnaient à 2 des 3 entrées de la plate-forme. Tous ces bâtiments, structures et machines ont disparus. Les ateliers longent le chemin de sortie qui mène à la route nationale qui passait elle aussi au pied de l’usine. C’est là, au début du XXe siècle que les cérémonies indiennes s’effectuaient avant d’être déplacées vers un temple hors de la « Cour La Mare ». Lorsque que la petite distillerie ferme, la mélasse est transportée à celle de Savanna. Fin des années 1960, une fabrique de panneaux d’aggloméré de bagasse est testée pour récupérer les résidus de cannes. Le résultat est médiocre et la technique est abandonnée.

 
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Plate-forme de l’usine de la Mare

Une « boutique chinois » est incontournable sur la route de Sainte-Marie, d’autres boutiques, une école marron, à l’ombre des flamboyants qui se laissent voler la vedette par les panaches de vapeur formés par les jets d’eau chargés de refroidir les tuyaux de l’usine. Dans l’angle formé par l’usine et le bassin des jets d’eau, le laboratoire effectue des analyses des taux de sucre aux différentes étapes de sa fabrication. C’est là aussi que se trouve la sortie du sucre, en balles de goni de 80 kg, fermées par des ouvriers munis de grosses aiguilles recourbées. Les dernières années de fonctionnement, les camions s’approchent du tapis où le sucre tremblant sur le tapis de séchage se déverse directement dans les bennes et les silos des camions.

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L’usine est formée de plusieurs bâtiments, le bâtiment des moulins lui-même est précédé d’une large plate forme où dominent deux grappins dont un grappin américain monté dans les années 50 et la maison du directeur, longtemps maison mère du Groupe Bourbon, est occupée aujourd’hui par CBO Territoria. Cette grosse maison coloniale donne sur la plate-forme où sont déposées les cannes amenées à l’origine par des charrettes, puis des petits camions et enfin par des tracteurs à remorques ou des cachalots jusqu’à peu avant sa fermeture en 1982.

On a du mal à s’imaginer aujourd’hui, la surface du « Battant des lames » à environ 500 mètres d’altitude, de la Ravine des chèvres à la Rivière des pluies en passant par Gillot, recouverte de champs de cannes à sucre et de vergers. Sainte-Marie est la porte du « Bon pays ». Le pays des bonnes terres copieusement arrosées par les pluies bénéfiques mais aussi subissant l’érosion et les méfaits du mauvais temps comme les avalasses et cyclones. L’usine devient vétuste à son tour et avec le progrès, les récoltes de cannes à sucre de toute la région nord-est alimentent Bois Rouge.

La vie, la sueur et le sang de plusieurs générations de travailleurs, descendants d’engagés de toutes origines, descendants d’esclaves et de petits blancs ont été réduits à néant, écrasés et broyés par des engins de démolition. Aucune ruelle ne porte le nom d’un ingénieur, d’un directeur, d’un technicien ou d’un ouvrier de valeur qui a travaillé là (sauf Marinié). Aucune pancarte ne raconte l’histoire de ces gens qui ont fait La Mare, son rhum et son sucre. Sur cet espace de mémoire se montent des structures modernes qui abritent des bureaux qui continueront à effacer l’histoire.

Sources : LAVAUX (Catherine), La Réunion, Du battant des lames au sommet des Montagnes.
-Le Patrimoine Des Communes De La Réunion.Auteur:Collectif- Editeur : Flohic- Collection:Le Patrimoine Des Communes De France- 2000

Sabine Thirel

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