Louis PAYEN, 1er commandant de la colonie de Bourbon

Compte-rendu de la conférence d’Alexis Miranville
(8 novembre 2013 au lycée Louis Payen de Saint-Paul)

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LOUIS PAYEN
PREMIER COMMANDANT DE LA COLONIE DE BOURBON

À La Réunion, ce que l’on savait jusqu’ici de Louis Payen tient en peu de mots. Originaire de Vitry-le-François (dans la Marne), et présent depuis 1656 à Fort-Dauphin (Madagascar), il débarque dans la baie de Saint-Paul en novembre 1663 en compagnie d’un autre Français et de dix Malgaches (dont trois femmes). À la suite de dissensions dans le groupe, les Malgaches s’enfuient dans les Hauts.
En 1665, à l’arrivée à Bourbon des vingt premiers colons français conduits par Étienne Regnault, Payen regagne Madagascar puis repart définitivement pour la France. Dans la Manche, il est capturé et emprisonné par les Anglais. De retour à Vitry-le-François, il termine sa vie en ermite. Quant aux Malgaches venus avec lui, ils ont rejoint les colons Français de Regnault. C’est avec eux qu’a commencé le peuplement définitif de La Réunion.
Alexis Miranville tient à préciser que sa conférence n’a pas la prétention de faire toute la lumière sur le personnage de Louis Payen, d’autant plus que les documents le concernant directement ne sont pas très nombreux. Il s’agit simplement ici, à partir d’écrits anciens peu exploités à ce jour, d’apporter un éclairage nouveau sur les raisons qui l’ont poussé à venir habiter Bourbon et sur le rôle qu’il a joué au début du peuplement et de la colonisation de cette île.

La fondation de la colonie du Fort-Dauphin en 1642

À cette époque de la marine à voile, lorsque les navires venant de l’Europe entreprenaient de longs voyages, ils devaient tenir compte de la direction des vents qui, dans la région sud de l’océan Indien, soufflent généralement du sud-est vers le nord-ouest. Ainsi, après avoir contourné le cap de Bonne Espérance, pour aller à Madagascar, ils ne devaient pas s’engager dans le canal du Mozambique, d’ailleurs réputé dangereux à cause de ses courants. Ils abordaient donc la Grande Île par le Sud-Est et c’est naturellement dans cette région que les Français ont fondé l’établissement de Fort-Dauphin, en 1642. Jacques de Pronis a été le premier gouverneur de cette petite colonie. L’air n’y est pas toujours très sain pour les Européens, surtout lors des fortes chaleurs de l’été (de novembre à mars) et les fièvres ont fait mourir beaucoup de Français. Mais la région est riche en riz, en troupeaux, en immenses prairies, et proche de la forêt pour le bois de charpente et de construction. Surtout, elle comporte une rade très commode pour le mouillage et bien abritée des mauvais vents, sauf en cas d’ouragans.
Cette colonie avait été ainsi dénommée en hommage au futur roi Louis XIV, tout juste âgé de 4 ans en 1642, et parce qu’elle était protégée par une forteresse, en fait une simple enceinte palissadée, d’ailleurs plusieurs fois attaquée et détruite par les Malgaches.

À Fort-Dauphin, en 1656, Louis Payen découvre l’horreur coloniale.

Louis Payen débarque à Fort-Dauphin en mai 1656. Il y découvre ce que l’on pourrait qualifier d’horreur coloniale. Ici, selon les écrits anciens, les Français n’ont du colon que le nom. Ils ne cherchent pas à mettre en valeur les terres ni à produire des biens en exploitant les potentialités et les ressources locales. Ils se contentent de stocker les produits provenant de trafic avec les Malgaches (riz, bois précieux, cuirs, cire, miel) dont ils remplissent les bateaux de la Compagnie se rendant en métropole où cela se vend très cher. Il leur arrive même de razzier les populations indigènes pour se procurer ces marchandises. Les gouverneurs n’ont, eux non plus, aucune considération pour ces Malgaches qui en viennent à attaquer le Fort et à se livrer à leur tour à des pillages et à des tueries. Plus d’une cinquantaine de Français sont ainsi massacrés le 1er mai 1659.
À cette hostilité des Malgaches envers les colons, il faut ajouter les dissensions internes au sein de la colonie et les rivalités entre les potentats locaux, chefs de provinces, qui n’hésitent pas à nouer des alliances avec les Français pour vaincre leurs adversaires.
En France, la Compagnie française de l’Orient, à laquelle Madagascar a été concédé, doit régulièrement songer à remplacer les colons et les soldats décimés par les fièvres et par ces guerres incessantes.
C’est d’ailleurs l’une des missions du navire Saint-Charles qui arrive à Madagascar début novembre 1663, avec un renfort de 80 hommes. Il y trouve une cinquantaine de Français dans une situation précaire, proche de la famine.
La situation qui règne à Fort-Dauphin n’est cependant pas la principale raison qui a poussé Payen à se rendre dans notre île en 1663. En fait, des textes existent et qui montrent que la venue du Saint-Charles à Bourbon s’inscrivait dans une stratégie mise au point depuis la France, à savoir la colonisation de cette île où Louis Payen était appelé à jouer un rôle important.

En 1663, Louis Payen est chargé de fonder et diriger la colonie de Bourbon

Jusqu’alors, la Compagnie française de l’Orient (financée par un petit groupe d’actionnaires souscripteurs chacun de sommes modiques), créée en 1642, et qui est à l’origine de l’établissement de Fort-Dauphin, ne s’était jamais préoccupée de coloniser les îles voisines qui lui ont pourtant été concédées en même temps que Madagascar. Ainsi, l’île Bourbon n’était utilisée que comme une terre d’exil pour individus indésirables, comme en 1646, puis en 1654.
De plus, du fait notamment de l’économie de prédation pratiquée par les colons de Fort-Dauphin, de l’hostilité des Indigènes et des fièvres, du climat d’insécurité et de l’état de guerre permanent qui régnaient à Madagascar, la Compagnie française de l’Orient enregistrait plus de dépenses et de pertes que de gains.
À partir de 1656, le duc de La Meilleraye, Maréchal de France et Lieutenant général des armées du Roi, nourrit un projet plus ambitieux pour cette compagnie dont il est devenu le directeur.
Son objectif est de faire de Fort-Dauphin et des îles voisines (Bourbon, Maurice, Comores) une escale et un vaste établissement devant servir de bases d’opérations et d’entrepôts pour le commerce entre la France, les Indes et l’extrême Orient.

L’installation d’une colonie à Bourbon entre naturellement dans ce projet. C’est ce que le Saint-Charles est venu faire à Saint-Paul en 1663, comme l’atteste le journal de bord du navire hollandais, le « Lansmeer », qui avait jeté l’ancre dans cette baie le 10 novembre 1663. À leur arrivée, les matelots n’y ont vu aucun autre bâtiment et sont allés, en canot, explorer toute la côte ouest de l’île.
C’est à leur retour, le 14 novembre, qu’ils ont constaté la présence du « Saint-Charles » et appris de son patron et du capitaine Kercadiou que ce navire était venu de Fort-Dauphin pour « prendre possession de l’île Mascarenhas […] baptisée du nom de l’île Bourbon » et y « laisser une dizaine de Français avec une douzaine de Malgaches […] dans le but de la peupler ».

Notons, au passage, que le 10 novembre, c’est le Lansmeer qui a jeté l’ancre à Saint-Paul, pas le Saint-Charles, dont l’arrivée est donc postérieure à cette date.
Pour des raisons inconnues, huit des dix Français qui devaient composer la colonie bourbonnaise de 1663 avaient donc décidé ou ont été priés d’y renoncer.

Souchu Rennefort a bien connu Payen, pour avoir voyagé sur le même bateau que lui, La Vierge du Bon Port, lorsqu’il quitte Fort-Dauphin en février 1666 pour regagner la France. Son témoignage révèle les qualités de Louis Payen et la fonction de chef qu’il exerçait :  » Des deux Français, l’un et le principal, nommé Louis Payen […], était homme bien fait, de douce humeur et sociable […]. L’autre Français suivait les ordres de celui-ci ».
Dans la suite de son témoignage, Souchu de Rennefort relate la passation de pouvoir avec Étienne Regnault, le nouveau chef de la colonie arrivé en juillet 1665 avec les 20 premiers colons français : « à l’abord des Français, cédant aux ordres du roi la souveraineté du pays […]. Après quoi, le premier (Payen) résolut de repasser en France, et l’autre s’engagea au service de la Compagnie ».
Dans son Histoire des Indes Orientales paru en 1688, Souchu de Rennefort parle de Louis Payen en tant que « commandant de Mascareigne ».

On l’a vu, la fin du voyage de Louis Payen sur la Vierge du Bon Port a été très mouvementée. Capturé, avec d’autres Français, il est libéré de la prison anglaise de Winchester seulement en janvier 1667. Son expérience coloniale à Madagascar et, à Bourbon, la défection de la quasi-totalité de ses compagnons peuvent expliquer sa décision de retourner à Vitry-le-François pour y vivre en ermite.

Patrice LOUAISEL

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