un cimetière d’esclaves mis à jour près du cimetière marin

Les fouilles entamées la semaine dernière derrière le cimetière marin de Saint-Paul comblent les archéologues au-delà de leurs espérances. Les scientifiques viennent de confirmer l’existence d’un ancien cimetière de 2000m2, probablement réservé aux esclaves. Une douzaine de squelettes ont déjà été exhumés.

Il n’aura fallu qu’une petite semaine de fouilles aux scientifiques pour confirmer leurs premières hypothèses : une ancienne enceinte funéraire jouxte l’actuel cimetière marin de Saint-Paul. L’équipe composée de trois archéologues et d’étudiants de l’université est parvenue à déterminer une zone d’environ 2000m2, située entre la clôture du cimetière et la mer dont le sous-sol regorge de squelettes. Sept forages ont été effectués ces derniers jours et cinq d’entre-eux se sont révélés positifs. Dans chacun, des corps parfaitement disposés, tous orientés vers l’ouest sud-ouest qui prouvent une organisation du lieu et non une accumulation aléatoire de corps comme les vagues de Gamède avaient pu le laisser penser en 2007. C’était la principale interrogation des chercheurs. Le mystère est donc levé. Mais l’équipe scientifique ne s’est pas contentée de déterminer le périmètre du lieu et sa raison d’être. L’un des forages a été en effet exploré en profondeur et une douzaine de squelettes y ont été mis au jour. Certains entiers, d’autres amputés ou simplement résumés à la présence de quelques structures. La fouille approfondie de cet espace d’environ 20m2 a notamment permis d’identifier plusieurs phases d’inhumations successives, jusqu’à six par endroits, six squelettes enterrés dans un espace de 2 à 3 m2. L’un d’eux était d’ailleurs un nouveau né.

Des dents taillées : un rituel africain

Mais ce qui s’impose peut-être comme l’autre découverte majeure des chercheurs date d’hier matin précisément. Nettoyé patiemment au pinceau, l’un des crânes a révélé la présence de plusieurs dents taillées, canines et incisives. Un rite très couramment pratiqué sur tout le continent africain, du moins dans sa partie subsaharienne “ et que l’on retrouve dans la plupart des terres d’esclavage”, note Bruno Bizot, l’archéologue détaché pour cette mission par la Drac de Marseille. Inutile de préciser que le squelette en question est donc très probablement celui d’un ou d’une esclave. Mais cela suffit-il pour autant à affirmer que cette enceinte était à coup sûr un cimetière d’esclaves uniquement ? Les scientifiques sont divisés sur le sujet. Pour l’historien Sudel Fuma, la réponse est “ oui à 99,9% et même à 100%”. L’universitaire a travaillé sur ce thème des sépultures séparées dans l’océan indien. Les premiers résultats des fouilles l’attestent selon lui. D’abord l’absence de pierres, de blocs rocheux et de métal qui suggère des enterrements sans faste, sans tombeau, dans des cercueils simples. Puis l’ancienneté des squelettes retrouvés, probablement inhumés aux XVIIIe et X1Xe siècles. “Jusqu’en 1820, la séparation des sépultures entre esclaves et colons était très nette” explique-t-il.

Étudier les restes d’ADN

Enfin la présence de dents taillées qui prouvent l’origine africaine des squelettes. Éric Kichenapanaïdou, archéologue au service patrimoine de la ville de Saint-Paul appuie son propos. “Jusque-là, nous n’avions jamais eu la preuve de cette séparation. C’est une première pour la Réunion mais aussi pour l’ensemble du monde colonial français. Nous ne sommes plus dans l’étude des récits historiques, nous touchons physiquement les matériaux de l’esclavage, nous sommes devant nos ancêtres, c’est très fort “. Bruno Bizot pour sa part refuse de s’avancer jusque-là, faute d’avoir pu fouiller de l’autre côté du mur pour comparer par exemple les conditions d’inhumation dans le cimetière officiel, celui potentiellement des colons. Pour lui, il revient aux historiens de travailler désormais pour conforter cette hypothèse. L’archéologue insiste également sur la nécessité de poursuivre les recherches sur les squelettes exhumés. Sous réserve de trouver une solution de conservation (problème non élucidé pour le moment, voir par ailleurs), le scientifique estime nécessaire de développer par exemple des analyses génétiques en prélevant s’il en reste de l’ADN fossile dans la pulpe dentaire de squelettes. Étude qui pourrait confirmer l’origine géographique ou ethnique de ces individus. Des études dites paléopathologiques permettraient également d’identifier les traumatismes musculaires et osseux causés par les activités de ces hommes et femmes de leur vivant. Une autre façon de confirmer leur condition servile. Il reviendra à l’Etat et à la ville de Saint-Paul, copropriétaires des vestiges, d’autoriser ou non ces recherches. Autorisation qui sera sans nul doute rapidement délivrée. En attendant, cette première véritable fouille archéologique impulsée par la DAC-OI à la Réunion suscite déjà une grande émotion. “C’est un moment exceptionnel que nous vivons”, estime notamment Sudel Fuma. “Les Réunionnais viennent de sortir du néant une part d’eux-mêmes, affirme pour sa part la députée-maire de Saint-Paul Huguette Bello. Cette découverte ouvre incontestablement une nouvelle page dans la connaissance de notre histoire”

*Tous les squelettes retrouvés entiers ont été inhumés en direction de l’ouest, selon le rituel chrétien

Romain Latournerie
sources Journal de l’Ile clicanoo.re

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