Archive pour la catégorie ‘autres religions’
Livre : « L’islam à l’ile de la Réunion » par Marie France Mourregot aux Editions « L’harmattan »
Après des études de langue arabe et de civilisation islamique à l’INALCO et à la Sorbonne, Marie France MOURREGOT a consacré ses recherches sur la communauté sunnite, d’origine indienne (Gujrat) de l’ile de la Réunion. Docteur en anthropologie sociale et historique à l’EHESS de Paris, elle est associée à un groupe de recherche sur les minorités musulmanes en diaspora
M.F M commence très logiquement son ouvrage en retraçant les circonstances et l’histoire de l’émigration indo-musulmane.
Elle en développe les péripéties, les différentes étapes, les temps forts de la communauté, son rapport avec les femmes et les jeunes, l’évolution du costume et des traditions
Dans un deuxième temps, elle nous parle de son intégration dans la société plurielle réunionnaise, mais aussi des différences-familiales- et similitudes- peurs et croyances- avec celle-ci.
En 2 e partie de l’ouvrage, elle aborde de façon précise l’organisation de l’activité économique et commerciale des Gudjeratis et la façon dont ils ont passé les périodes critiques des 2 guerres mondiales du XXe siècle. Mais pas seulement :
D’une économie basée sur les tissus de l’Inde, les « zarabes » de l’ile ont su remarquablement ré-orienter leur activité du sur-mesure au prêt à porter mais aussi se diversifier et se spécialiser : quincaillerie, gros électro ménager, matériaux de construction, automobile, nouvelles technologies …
En 3e partie de cet ouvrage de tout de même 524 pages-dont on ne se lasse à aucun moment car très agréable et facile à lire,
MFM développe leur appartenance religieuse principalement sunnite de type hanafite, le courant le plus modéré de l’Islam, les pratiques collectives des indo-musulmans (Ramadam, hadj et qourbani) mais aussi familiales (naissance, circoncision, mariage, enterrement)
Elle fait aussi un état des lieux des institutions ( mosquées, médersas… cimetières), des spécificités locales (appel à la prière, voile, abattage rituel …) et des institutions de défense…
Très ouverte, sans être partisane ou hostile, son regard de « chercheur » neutre et objectif aborde tous les aspects de cette population de façon objective et dépassionnée nous offrant d’incontestables pistes de réflexion et d’analyse d’une communauté certainement très attachante même si le contexte international actuel n’en permet pas vraiment l’ouverture qu’on aimerait ressentir. (peur légitime des clichés, du qu’en dira t’on et du « regard » des autres communautés par exemple ; peur d’être assimilés aux intégristes . …)
Cet ouvrage de grande qualité ne peut manquer d’être dans toutes les bibliothèques des indo-musulmans lettrés de la diaspora réunionnaise et des chercheurs en quête d’en savoir plus sur cette communauté plutôt discrète de l’ile.
C’est un ouvrage à lire absolument pour mieux comprendre nos amis de cette communauté.
« L’islam à l’ile de la Réunion » par Marie France MOURREGOT aux Editions l’Harmattan
Patrice LOUAISEL
L’islam réunionnais selon Mme Marie France MOURREGOT
[color=green]Native de la région d’Angers, Marie-France Mourrégot habite toujours dans le Maine-et-Loire, après de nombreuses années à Paris. Spécialiste de langue arabe et de plusieurs dialectes (diplôme de Langues Orientales, licence d’arabe à la Sorbonne Nouvelle), elle intègre ensuite l’INALCO pour préparer un diplôme en civilisation islamique et cultures musulmanes et rédige un mémoire intitulé : “Les musulmans dans la société réunionnaise : similitudes et différences”. Puis, c’est à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) à Paris, sous la direction de Marc Gaborieau, l’un des plus éminents spécialistes de l’Inde musulmane qu’elle prépare et soutient en 2008 (mention « Très honorable ») une thèse intitulée “Une alchimie à la gloire d’Allah : stratégies commerciales et institutions religieuses à l’île de La Réunion”. Ces deux travaux ont donné naissance au livre “L’islam à l’île de La Réunion”, publié chez l’Harmattan[/color]
[color=blue]J.I.R : En cette semaine de début de ramadam, la parole à une universitaire qui, depuis près de vingt ans, observe et analyse les communautés musulmanes de La Réunion. à travers le regard du chercheur pointe une admiration certaine pour cette harmonie réussie sur un territoire français.[/color]
[color=blue]J.I.R : Comment une chercheuse universitaire zoreil en est-elle venue à s’intéresser à l’islam à La Réunion ?[/color]
J’avais l’intention de me lancer dans un mémoire de maîtrise d’histoire consacré à la visite de l’émir Abdel-Kader à Paris en 1852, lorsque je suis allée en vacances à La Réunion chez un ami d’enfance. Nous étions au début des années 1990 et la métropole était régulièrement secouée par des “affaires” de musulmans : construction de mosquées qui posaient problème, filles exclues de leur collège parce qu’elles portaient un foulard en classe… Bref, je me suis rendue compte qu’à La Réunion, les choses se vivaient naturellement, sans poser de problèmes. J’ai donc décidé de laisser l’Emir Abdel-Kader reposer en paix et changé l’orientation de mes recherches pour m’intéresser à une communauté vivante qui semblait en harmonie avec la société dans laquelle elle était installée. J’ai consacré beaucoup de temps à la recherche de terrain effectuée au cours de nombreux voyages à La Réunion entre 1993 et 2008.
[color=blue]J.I.R : Vous parlez de “visibilité tranquille” de l’islam à la Réunion. Pourquoi ?[/color]
J’ai choisi ces termes par comparaison avec la situation de métropole, où construire une mosquée, obtenir un cimetière privé, ouvrir une école coranique, porter un hijab en classe était une source infinie de problèmes, exacerbés par les enjeux électoraux. Il est beaucoup plus facile de pratiquer sa religion pour un musulman à La Réunion. Il a “à sa portée” toutes les institutions, les infrastructures requises par la loi islamique pour l’accomplissement des rites. Les Réunionnais non-musulmans sont habitués à l’appel à la prière par haut-parleur, aux costumes islamiques dans les rues… Les minarets font depuis longtemps partie du paysage. Tous les symboles islamiques font désormais partie du patrimoine culturel réunionnais.
[color=blue]J.I.R : Peut-on véritablement parler d’un “islam réunionnais” ?[/color]
Oui. Bien sûr, le Coran et la Tradition du Prophète sont, sous toutes les latitudes, les fondements immuables de la loi islamique, mais la manière de pratiquer l’islam varie en fonction des pays, des sociétés. A La Réunion, les musulmans sunnites, d’origine indienne, se reconnaissent dans un islam turco-persan, et non pas dans un islam arabe. Ils ont des oulémas dont le Centre de légitimité se trouve en Inde, à Déoband, et qui professe un hanafisme strict. En ce sens, l’islam pratiqué à La Réunion est plus proche de celui qui est pratiqué en Afrique du Sud et à Maurice qu’en métropole. Les Gujaratis musulmans qui émigraient ont choisi La Réunion comme patrie. C’est là qu’ils ont voulu élever leurs enfants, où sont enterrés leurs parents, où ils ont leurs intérêts économiques et financiers. Ils ont voulu devenir Français choisissant de ce fait d’être régis par les lois de la République française et non pas par la Charia – la loi islamique – qui reste dans la sphère privée. L’islam réunionnais est un islam “ouvert”, modéré. Chacun peut pratiquer ou pas, observer les règles religieuses ou pas ; le croyant musulman est libre de mener sa vie à sa guise sans encourir de châtiment. Seul son Créateur appréciera ses actions au jour du Jugement. Cet islam “ouvert” dialogue avec les autres religions : le Groupe de dialogue interreligieux est particulièrement présent sur la scène réunionnaise et son président est un Indo-musulman.
[color=blue]J.I.R : Existe-t-il pour autant une “face cachée” de la pratique réunionnaise, moins ouverte, moins modérée ?[/color]
Je ne vois pas de “face cachée” de l’islam à La Réunion. Chez vous, tout est sous contrôle. Il existe un mouvement pour la propagation de la foi qui s’emploie à faire des musulmans de meilleurs musulmans, qui donnent une part importante de leur vie à “sortir sur le sentier de Dieu” pour aller, à La Réunion, dans les îles de l’océan Indien, etc., à la rencontre des musulmans et les inviter à calquer leur comportement sur celui du Prophète et de ses compagnons. Ce mouvement entraîne ses adeptes dans ce qui apparaît à certains autres musulmans, et aux non-musulmans, comme un repli, un enfermement. Apprécier leur nombre est impossible. Certains sont des piliers du mouvement de prédication, d’autres en font partie un temps ou de manière occasionnelle. Il ne s’agit pas d’un mouvement propre à La Réunion, il s’agit d’un mouvement transnational, la Tablighi-Jamaat, (mot ourdou pour « groupe de prédication »), né en Inde dans les années 1920 et arrivé à La Réunion en 1956. En tout état de cause, aucun de ces “missionnaires” ne songe à remettre en cause les institutions de la République : tous savent que dans aucun pays musulman, ils ne bénéficieraient des conditions de vie, de la liberté qu’ils ont à La Réunion.
[color=blue]J.I.R : Les Zarabs et les Karanes, venus de Madagascar, semblent parfaitement intégrés dans la société réunionnaise. En revanche, la place d’autres musulmans, comme les Comoriens et Mahorais n’est pas si simple. Existe-t-il des frictions, des inquiétudes quant à leur intégration “religieuse” ?[/color]
Les Karanes, qui sont des chiites, appartiennent à trois obédiences dont chacune a ses spécificités. Comme vous le savez, les Karanes ont trouvé leurs marques dans le département et appartiennent au monde socialement privilégié. A La Réunion, il n’existe aucun problème entre chiites et sunnites. Les Comoriens et Mahorais sont des musulmans sunnites comme les Indo-musulmans, ils appartiennent à une école juridique différente de ceux-ci, mais le rituel shaféite ne diffère du rituel hanafite que sur des points de détail. Ils peuvent donc prier ensemble, dans les mêmes lieux de culte. Cependant, Comoriens et Mahorais sont attachés à des pratiques étrangères aux Indo-musulmans, en particulier la célébration avec faste de l’anniversaire de la naissance du Prophète. Ils ont à cœur d’avoir leurs propres structures où ils peuvent se réunir et vivre leur foi selon leurs propres traditions (il existe une mosquée comorienne au Port). Il n’existe pas pour autant d’inquiétudes quant à leur intégration religieuse. Comoriens et Mahorais sont partie prenante de la communauté musulmane, ils ont participé à la création et à la mise en place du Conseil régional de culte musulman voulu par l’Etat. Il leur est demandé de se conformer aux règles en vigueur dans les institutions religieuses créées et gérées par les Indo-musulmans et de pratiquer leurs particularismes culturels, dans d’autres lieux.
[color=blue]J.I.R : Le terme zarab a-t-il toujours été assumé par les musulmans ?[/color]
Il a été employé par les Créoles lors de l’immigration gujaratie parce qu’à cette époque, tout ce qui avait un rapport avec l’islam était forcément “arabe”. On ne savait pas que la majorité des musulmans dans le monde n’est pas arabe et qu’en particulier, ceux qui vivent dans le sous-continent forment la plus grande masse musulmane du monde. Les Indo-musulmans réunionnais se sont habitués à cette appellation. Un Zarab est dans l’imaginaire collectif quelqu’un qui a de l’argent, quelqu’un qui a un magasin ! C’était vrai dans le passé mais, il y a des années que les choses ne sont plus celles-là. Les Gujaratis se sont installés à La Réunion dans la seconde moitié du XIXe siècle, disons à partir des années 1860. Ils ont ouvert des bazars où l’on trouvait tout mais principalement, des grains et des tissus. C’est après la départementalisation, dans les années 1950, qu’ils ont permis aux Réunionnais d’acheter près de chez eux des vêtements en prêt-à-porter qu’on appelait le “décrochez-moi-ça” et des meubles, d’abord des meubles “péi” fabriqués principalement à la Rivière Saint-Louis, puis des meubles importés.
[color=blue]J.I.R : En métropole, les musulmans font globalement partie des classes sociales les plus défavorisées, alors qu’ici, les Zarabs font partie des catégories plutôt à l’abri du besoin. C’est ce qui change tout ?[/color]
Effectivement. Les Zarabes ont une surface financière qui leur permet de peser sur les décisions politiques et économiques. Leur détermination à investir une grande partie de leurs bénéfices commerciaux dans les structures religieuses dont ils avaient besoin pour accomplir leurs pratiques religieuses a été totale dès les années 1890. Ils n’ont eu besoin d’aucun bailleur de fonds extérieur. De ce fait, ils sont maîtres de leurs choix et n’obéissent à aucune consigne, comme c’est le cas pour les musulmans de métropole qui récoltent des fonds au Maghreb ou dans les pays du Golfe et qui doivent, ensuite se conformer à des directives venues des généreux donateurs. Le problème en métropole, c’est que les musulmans sont “pluriels”, ils sont Algériens, Marocains, Tunisiens, Turcs, Africains, musulmans du sous-continent… Bref, toute une constellation d’origines d’où les enjeux de pouvoirs et les querelles intestines qui n’ont pas de raison d’être à La Réunion. Certes, l’homogénéité d’origine ne règle pas tout. Il existe parfois des dissensions, des sujets de controverse, mais tout se règle “entre soi”, sur un consensus.
[color=blue]J.I.R : Le modèle réunionnais est-il transposable en métropole ?[/color]
Sans doute pas. L’histoire montre qu’un modèle ne se transpose jamais. La Réunion est une terre d’immigration, elle s’est construite avec les apports culturels des uns et des autres. Les musulmans y ont bénéficié d’atouts exceptionnels. Ce qui est possible, c’est qu’en métropole, on s’inspire de ce qui a été possible à La Réunion et que l’on réfléchisse à ce qui peut être fait. Les musulmans de métropole pourraient aussi s’inspirer de la remarquable organisation des comités de gestion mis en place par les Gujaratis et créer des associations sur le modèle des Volontaires d’entraide musulmane (VEM) dont les services auprès des familles sont exemplaires.
[color=green]Entretien : David Chassagne du JIR
avec l’aimable autorisation de Mme MOURREGOT[/color]
La REUNION, île de foi
LA REUNION : ILE DE FOI
Un rappel historique s’impose :
quand on décide d’installer la « colonie » à Bourbon, le roi Louis XIV est aux commandes en France et la Sainte Eglise Catholique puissante. Pas question alors, de laisser les colons à la dérive : un prêtre évangélisateur aura mission de (re)mettre nos colons dans « le droit chemin » : celui de l’Eglise catholique, dès création d’une nouvelle commune. Si les débuts ont été difficiles, l’arrivée de l’esclavage a durci les exigences : baptisé sur le lieu de traite, et rebaptisé à son arrivée sur l’île, de peur que ce fût mal fait, la messe était obligatoire tous les dimanches avec amende au colon qui aurait « oublié » d’emmener ses esclaves dans le lieu sacré…l’esclave devait donc renier sa pratique quand il en avait une au profit du catholicisme. En 1848, dans les textes, la liberté de culte est autorisée. Dans la réalité, la pression est forte pour que les engagés africains, indiens et chinois choisissent le catholicisme… d’où quelques rares cérémonies et constructions de temples sommaires quand le colon est tolérant et veut garder ses travailleurs.C’est le règne du synchrétisme, où de nombreux tamouls sont obligés d’assimiler ST EXPEDIT à leur déesse Karli.
Enfin ! la « séparation de l’Eglise et de l’Etat »(1905) et la loi sur les associations(1901)
Au XXe siècle, avec la séparation de l’Eglise et de l’Etat, mosquées, temples chinois et tamouls poussent « comme des champignons » car chacun est enfin libre de sa pratique.
Au XXe siècle de fortes pressions catholiques…
Pourtant les pressions catholiques restent fortes associant bien souvent les cérémonies tamoules à de la sorcellerie qu’il faut absolument fuir. Voilà que nos malbars pratiquent désormais la « double religion » : en fait parce que dans la bonne société créole il était de bon ton d’être catholique et d’aller à la messe.. mais on ne pouvait désormais nier parallèlement son attachement identitaire à la religion hindoue. Il n’est encore aujourd’hui pas rare que nos malbars aillent à la messe tout en pratiquant rituels et cérémonies tamoules.
J’en connais qui m’affirment très sérieusement : « ça lé le mêm bondie :krishna ça lé le Christ, Mariamen çà lé Marie » s’appuyant sur l’homonymie de noms. C’est ce qu’on appelle le syncrétisme. Fréquent quand on nous a imposé une autre religions. Au fond, pourquoi pas, si cela permet à nos communautés de s’accepter dans leur différence à l’heure où toutes les religions affirment la prédominance d’un seul et même DIEU (sous différentes facettes pour les Chrétiens et malbars)
Choisissons parmi celles-ci, celle avec laquelle nous sommes le plus en phase mais surtout respectons- nous dans nos différences dans un Amour inconditionnel à l’heure où on dénombre plus de 25 pratiques cultuelles différentes sur ce caillou de seulement 200 km de circonférence. C’est notre objectif le plus précieux, à préserver absolument si l’on veut mériter de continuer à s’appeler « île de la REUNION. »
Patrice LOUAISEL « Les Amis de ‘l’Histoire »