le cimetière marin de St Paul

LE CIMETIERE MARIN DE ST PAUL

Upload image
vraie ou fausse tombe de la Buse ?*

Grande Fontaine, Le Tour des Roches, le Bout de l’Etang, Sans-Souci, Monplaisir, le Bernica, la Caverne, Rocquefeuil, Bruniquel, Petite France… il y a à travers la commune de St Paul des lieux qui présentent non seulement une incontestable beauté esthétique, mais sur lesquels souffle aussi « l’Esprit ». Parmi eux, le cimetière de la Caverne, plus connu sous le nom de cimetière marin est peut être le lieu le plus saisissant car il combine simplicité et noblesse dans son architecture générale, passé et présent dans son contenu. Il est le témoin le mieux visible de cette situation très particulière qu’occupe la commune de St Paul dans l’ensemble réunionnais.
Saint Paul est encore la plus vaste commue du département mais c’est surtout ici qu’a commencé l’histoire plus que tricentenaire de la Réunion. Pendant près d’un siècle, St Paul a été le point d’arrivée, la base de mise en valeur, la seule vraie capitale de l’île Bourbon. Tout celà, on peut le mesurer en visitant le cimetière marin. Fichées en plein coeur de la « baie du meilleur ancrage », séparées de l’océan par de vieilles pierres passées à la chaux, surmontées de fleurs aux couleurs éclatantes, les tombes d’anciens colons de bourbon côtoient celles de forbans, de grands propriétaires terriens, d’engagés indiens, de commerçants chinois, de poëtes, d’humbles inconnus, de marins au long cours, d’hommes politiques… tous dormant là par les hasards de la vie, par le hasard des années ou des travées, sans aucune
 » géométrie » préconcue. C’est une image, oh combien symbolique de la Réunion.

A l’entrée du XVIIIe siècle, le quartier de Saint Paul compte environ un millier d’habitants répartis sur 37 000 hectares allant du Boucan de Laleu à la Possession du Roy comprise. Il doit faire face en 1729 à une terrible épidémie de vérette, la variole saturant rapidement l’unique cimetière situé prés de l’église paroissiale. Il fallut alors enterrer en quelques semaines des dizaines de morts dans un cimetière provisoire aménagé en bord de mer. Mais c’est seulement à la fin de la période de prospérité liée à la culture du café – la population dépassait 7 000 personnes- qu’on envisage le transfert de l’ancien cimetière. Un nouveau lieu de sépulture est ouvert en 1788 sur les pas géométriques, à l’extrémité Sud de la ville, en face de la « Grande Caverne », un peu avant le Cap de la Marianne, qu’on appelait en ce temps-là la Pointe de Bourgogne.

Upload image
une ancienne tombe

D’une superficie d’un hectare et 44 ares, le cimetière de la Caverne a failli avoir une destinée bien peu civique, comme on le constate en parcourant les registres de délibérations du Conseil Supérieur de Bourbon. Pendant la séance du 7 Avril 1788 sous la présidence du commandant de l’île, Charpentier de Cossigny, le Conseil Supérieur doit répondre à une pétition de quelques habitants de St Paul demandant que le nouveau cimetière soit réservé uniquement aux blancs et l’ancien, à côté de l’église paroissiale pouvant servir à l’usage des noirs décédés. La réponse du Conseil fut cinglante : « Cette distinction nous parait tout à fait révoltante, comme si nous n’étions pas tous égaux et que la poussière de l’homme blanc et de l’homme noir ne serait pas la même. C’est vouloir étendre les prérogatives de l’orgueil au-delà même du tombeau »

 

Cette mauvaise polémique réglée et malgré le transfert du cimetière sur le bord de mer, on conservera encore longtemps une coutume locale qui consistait une fois la messe des morts terminée en l’église paroissiale, à déposer les cercueils des défunts sur une énorme roche plate se trouvant sur le côté droit de l’église, pour une ultime prière et puis on prenait « le chemin des morts », le sentier menant au cimetière. La roche disparait après le décès de Jean Antoine Davelu, prêtre lazariste. Le père Davelu, curé de St Paul, de 1767 à 1815, avait souhaité être enterré sous cette pierre pour continuer à accompagner ses fidèles dans l’au-delà. Son souhait sera exhaucé, mais la vieille roche remplacée par un monument funéraire, justement en forme de table, qui assurera l’usage coutumier jusqu’au début du XXe siècle.

Avec les années, certaines tombes du cimetière marin sont devenues complètement anonymes ou alors des inscriptions bien mystérieuses, telles celles-ci :  » Vernant, bourreau le 16 Février 1822″ ; D’autres sont sujettes à interrogations, telle la tombe du pirate  » La Buse ». Olivier Levasseur, dit « La Buse » est certes bien mort pendu sur la place de l’église paroissiale de St Paul, mais sa pendaison remonte au 7 Juillet 1730, cinquante huit ans avant la création du cimetière…
Upload image

Et puis, à l’époque on inhumait pas en terre chrétienne des bandits de grand chemin.

C’est aussi au cimetière marin que s’est terminé le bref passage à Bourbon, d’Eraste Feuillet, mort « victime de sa générosité ». Ce capitaine de marine marchande, natif de Saint Malo, âgé de 28 ans, arrive à St Paul, via le Cap de Bonne Espérance en Février 1830. Le temps de l’escale, il prend pension à l’hôtel de Lassays sur le front de mer, en face du débarcadère principal. Comme c’est partout le cas à l’époque, l’hôtel ne possédait ni électricité, ni eau courante, ni salle de bain, la toilette se faisait dans les chambres à l’aide d’une cuvette et la coutume voulait que les clients balancent par la fenêtre les eaux usées.
C’est ce que pratique notre marin lorsque besoin se fait sentir. Malheureusement le 16 Février 1830, le liquide crasseux tombe sur la tête d’un passant irascible qui provoque le capitaine en duel. Pendant l’affrontement qui a lieu le lendemain sur la grève, l’arme du saint paulois s’étant enrayée. Feuillet lui propose un de ses pistolets avec lequel il sera tué. Parti de St Malo le capitaine Feuillet repose depuis le 18 Février au cimetière marin, sur sa tombe est gravée l’épitaphe suivante : « victime de sa générosité, l’arme qui devait le défendre lui donna la mort ».
Au milieu du XIXe siècle, c’est le poëte Eugène Dayot qui rejoint le cimetière marin. Joachim Laurent Dayot dit « Eugène Dayot » est né lui à St Paul où il passe son enfance puis son adolescence, fréquentant les cours du célèbre collège privé Raffray dans lequel il acquiert le goût des Belles Lettres. Les études terminées, il entre en 1828 dans l’administration des Ponts et Chaussées et fait alors un séjour de deux ans à Madagascar en y contractant une terrible maladie : la lèpre. Elle explique probablement qu’en parallèle à ses activités dans l’administration, Dayot se soit lancé dans la poësie et le journalisme. En 1839, il fonde à St Paul son propre journal « Le Créole » qui fera faillite pour cause de propagation d’idéaux abolitionnistes et de campagne contre la peine de mort. Après la déroute du « Créole », il reste dans la presse comme feuilletoniste au « Courrier de St Paul », puis au « Bien public » dont il sera rédacteur jusqu’à ce que la lèpre l’emporte en 1852, dramatiquement mutilé et en train d’écrire un roman historique « Bourbon pittoresque »
En 1890 et 1891, le cimetière marin accueille 2 éminentes personnalités de la vie politique et culturelle de St Paul. Jean Milhet Fontarabie et Gilles François Crestien. Jean Milhet Fontarabie est né en Dordogne en Novembre 1828, médecin de formation, il a exercé quelques années à Madagascar, en particulier à la cour de la reine Ramanavaloa 1e. Installé à St Paul, devenu maire en 1872, puis Conseiller Général, il parvint à persuader le Directeur de l’Intérieur de l’époque, Monsieur Laugier, de l’intérêt d’une voie de circulation terrestre entre La Possession et St Denis au pied de la falaise. Une expérience tentée au début de 1873 se révélant positive, les travaux officiels de construction d’une route, ou plutôt d’une piste sont entrepris et achevés cette même année. Le maire-conseiller peut ainsi en Septembre 1873 se rendre à cheval de St Paul à St Denis en passant par le littoral, faisant une entrée très remarquée au siège du Conseil Général. Milhet Fontarabie laissera à sa commune d’autres routes et plusieurs fontaines publiques, mais à partir de Juillet 1882, on le verra de moins en moins, car il réussit le tour de force de se faire élire sénateur de la Réunion malgré la candidature à cette prestigieuse fonction du poëte Leconte de Lisle. Il siègera au palais du Luxembourg jusqu’à sa mort, le 13 Juin 1890, et sera enterré selon ses dernières volontés au cimetière marin de St Paul.

Gilles François Crestien a vu le jour le 15 Septembre 1828 dans une vieille famille de St Paul. Devenu à son tour notaire et notable dans sa ville natale, il effectue, en 1862, un voyage en Europe. Il découvre alors à Rome, les vertus du télégraphe électronique; Revenu dans son office notarial, il monte le projet d’équiper la côte Ouest de la Réunion avec ce fabuleux outil de communication. C’était d’autant plus utile qu’on mettait alors au moins 3 jours pour se rendre en diligence de St Denis à St Pierre. Des pesanteurs administratives et des rivalités au Conseil Général paralysant son initiative, Crestien en arrive à la solution de créer en 1869 sa propre entreprise : « la Société Anonyme du Télégraphe de la Réunion », au capital de 60000 francs, forte de 212
actionnaires et dont il assure la présidence. La Société du Télégraphe finit par obtenir les autorisations nécessaires, installe des poteaux, des fils, fait venir des appareils d’Allemagne. En Juillet 1870, la première communication électrique est établie entre St Paul, La Possession et St Denis. Le réseau de la société s’étendra à tout le tour de l’île au moment du décès de Gilles Crestien, le 12 Août 1891. Son entreprise continuera à fonctionner jusqu’en 1907, date à laquelle elle sera absorbée par le service public des Postes et Téléphones.

Le cimetière marin porte aussi témoignage de drames de la mer, comme le naufrage du navire « le Ker Anna » en Décembre 1894. Le Ker Anna était un solide voilier trois mâts français, construit à St Nazaire, commandé par Aubain Delahaye, capitaine au long cours, aidé par quinze hommes, tous marins expérimentés, enrôlés dans les ports bretons. Le bateau avait été affrété en 1894 par un armateur nantais pour amener aux Comores et à la Réunion du charbon, des madriers, de l’essence, du goudron, des bougies, du vin, des boites de conserves, du lard, de la farine, de la poudre, des tapisseries et 2 cochons vivants qui sont d’ailleurs sortis indemnes du naufrage puisqu’ils ont été vendus, vifs, aux enchères en même temps que les marchandises récupérées. Le Ker Anna arrive en rade de St Denis le 7 Décembre 1894. Le jour même le Capitaine Delahaye descend à terre pour accomplir les formalités douanières et préparer le déchargement des marchandises. Dès le lendemain le temps s’aggrave sur la Réunion en raison de l’approche d’un gros cyclone tropical. Si bien que le 8 décembre à 3H 30 de l’après midi, le second du Ker Anna reçoit du lieutenant du port l’ordre de s’éloigner de la côte.

Dans la nuit opaque, emporté par une mer déchainée et de violents courants, le Ker Anna se retrouve à 4 heures du matin en fce de la Pointe des Aigrettes. Là il heurte un récif, cassant l’arrière du navire qui coule en quelques instants. Dans la journée du 9 décembre 1894 la mer rejette entre le Cap La Houssaye et la Pointe de Aigrettes de nombreux débris, ainsi que les corps de cinq matelots bretons noyés au large de St Gilles. Ils reposent depuis, à l’intérieur d’un carré spécialement aménagé dans la partie Nord-Ouest du cimetière.

Le personnage le plus célèbre du cimetière est sans conteste le poëte Leconte de Lisle installé en place d’honneur sur l’allée centrale, tout près de sa cousine Elixène Delanux qui lui aurait inspiré un de ses plus beaux poêmes : « Le Manchy »

Upload image
tombe de Leconte de L’Isle au cimetière marin

Charles Marie René Leconte de Lisle est né le 22 Octobre 1818 à l’entrée de la rue St Louis, en pleine ville de St Paul dans une maison en bois à étage qu’avait acheté son père, ex-chirurgien major des armées napoléoniennes, arrivé à la Réunion en 1816. Le fondateur de l’école poëtique du Parnasse, titulaire de l’Académie Française à partir de 1883, officier de la Légion d’honneur en 1886 n’a passé qu’une dizaine d’années à St Paul et à St Gilles les Hauts où sa famille possédait une maison de vacances mais des années qui l’ont beaucoup marqué. On retrouve les souvenirs de jeunesse dans de nombreux poëmes : « le Bernica », la « Ravine St Gilles », Midi », « Si l’Aurore…et m^me le souhait d’n repos éternel sur la grève de St Paul « dans le sable stérile où dorment tous les miens, que ne puis-je finir le songe de ma vie ! » Décédé à Louveciennes près de Paris le 17 Juillet 1894, Leconte de Lisle est d’abord inhumé au cimetière Montparnasse, son voeu sera quand même réalisé, en Septembre 1977, avec le retour au pays natal des restes mortels du poëte et une réinhumation au cimetière marin de St Paul

A quelques pas de Leconte de Lisle, en bordure de l’allée centrale, repose Paul Julius Bénard, pharmacien de profession et maire de St Paul. Paul Bénard a eu, partir de Mars 1965 la lourde tâche de conduire une commune qui après un siècle de léthargie se réveille brusquement sous l’effet de la départementalisation, de l’ouverture de la route en corniche et du tourisme naissant. Il est à l’origine d’une transformation profonde du paysage saint-paulois avec la réhabilitation du front de mer de la ville, du marché couvert, la construction de la gare routière de la Chaussée Royale, d’écoles, de collèges, de lycées, de gymnases, de piscines, d’un stade olympique, d’une médiathèque et d’un parc de loisirs, d’un port de pêche et de plaisance à Saint Gilles…Régulièrement réélu, Paul Bénard assurera quatre mandats de maire, deviendra sénateur de la Réunion en 1981, en pleine « vague rose » et c’est un décès brutal en 1987 qui seul mettra fin à ses fonctions.

Dans l’allée latérale parallèle à la route nationale, un imposant caveau tout blanc, en forme d’obélisque est depuis 1997 la demeure de Jacques Lougnon, le « vieux tangue de la petite france ». Descendant des familles K/anval et Lougnon fondatrices du hameau de Petite France par la route du Maïdo. Jacques Lougnon est né le 29 Octobre 1920 a été tour à tour professeur au Lycée Leconte de Lisle, paysan, historien et surtout ardent défenseur du patrimoine de St Paul, particulièrement des hauts de la commune. On lui doit quantité de chroniques, d’articles de presse dénonçant les destructions de l’héritage de nos ancêtres, pourfendant les administrations de toutes sortes. Il était aussi bâtisseur, construisant lui-même des maisons, des pistes, des radiers, des églises, des clochers. Lorsqu’il est mort le 11 Novembre 1997 dans un accident de la route, c’est tout naturellement qu’il a rejoint l’espace d’Eugène Dayot et de Leconte de Lisle.

A la fin du XXe siècle, Jacques Lougnon est le dernier « illustre saint-paulois » inhumé au cimetière marin. En fait dès la deuxième moitié du XIXe siècle, , après la période de prospérité permise par le développement de la canne à sucre, il était à son tour devenu trop petit. La municipalité envisage alors de l’agrandir, mais se heurte au refus des familles Aubry et Ferrer de vendre leurs terrains attenants et surtout au veto du ministère de la marine qui ne veut pas céder la parcelle nord-ouest sur laquelle se trouvait autrefois une batterie de défense cotière. La situation étant bloquée, le conseil municipal décide d’ouvrir en 1864 un nouveau cimetière cette fois au nord de la ville sur un terrain vague dans le quartier de l’Etang. D’autres lieux de sépulture suivront à la fin du XIXe et au début du XXe : Saint Gilles, Le Guillaume, Saline, Bois de Nèfles … A partir de ce moment les concessions libres au cimetière marin seront réservées aux habitants du centre ville, du quartier de la Caverne, aux familles souhaitant renouveler une concession et à quelques défunts d’exception comme Leconte de Lisle ou encore le père Guillaume, breton d’origine qui fut curé& de St Gilles les bains de 1976 à 1986 puis curé de la paroisse de St Paul de 1986 à 2002

Le temps passant, le cimetière marin avait fini dans les années 1970 par se retoruver dans un état lamentable d’abandon, d’autant que plusieurs catastrophes naturelles ont accéléré son délébrement : raz de marée lié à l’éruption du volcan Perbuatan sur l’île de Krakatoa le 27 Aout 1983 qui emporta bon nombre de tombes et cercueils loin au large dans la baie de St Paul, cyclone de 1932, de 1948, cyclone Jenny de 1962… Aussi nous nous devons de signaler que la sauvegarde et l’aménagement actuel sont l’oeuvre de Jean Marie Lacouture, à l’époque président du syndicat d’initiative de St Paul et de Jean Louisin, responsable des cimetières de la commune, puis Marc Acaste. Avec leurs équipes, ils ont veillé pendant plus de 20 ans à la réhabilitation et à l’entretien de ce lieu incontournable de la mémoire réunionnaise. Qu’ils en soient ici vivement remerciés.

Bernard MAREK
Juillet 2005

*la pierre tombale de la tombe de La Buse aurait une inscription faite par un colon en hommage à une esclave affranchie qui aurait peut être été enterrée là. (selon Bernard MAREK)

[color=green] A l’heure où nous diffusons ces lignes, Bernard Marek, vient de mourir d’une crise cardiaque. Historien d’une grande culture , sagesse et simplicité, c’est notre dernier hommage que les « Amis de l’Histoire » sont heureux d’effectuer à son endroit. Toutes nos condoléances attristées à sa famille[/color]

Les commentaires sont fermés.

Catégories
Archives