domaine Panon Desbassayns : un lieu de rencontres culturelles

 

Trois ans avant l’abolition de l’esclavage, à St Gilles, le 20 Juin 1845, Madame DESBASSAYNS rédige son dernier testament, à l’âge de 90 ans. Ce document nous donne à voir une description des esclaves attacés à la propriété de Saint Gilles les Hauts, aujourd’ »hui devenu le « musée historique de Villèle, et le métissage qui en résulte.

le domaine Panon Desbassayns

Henri-Paulin DESBASSAYNS et son épouse Marie-Anne-Thérèse Ombline ont fait construire un domaine sur leur ancienne propriété, à partir de 1755. Cette riche famille de planteurs y a vécu presque 50 ans. Ce domaine fut majoritairement consacré à la canne à sucre cultivée par un grand nombre d’esclaves originaires d’Afrique, de Madagascar et d’Inde.

Le testament de Mme Desbassayns

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En effet, le testament déclare 295 esclaves attachés à la propriété de Saint Gilles dont la répartition des types est la suivante : 224 esclaves de type créole, 41 de type cafre, 17 de type malgache, 12 de type non identifié et 1 de type indien. Ils sont désignés par leurs prénoms, castes, âges, professions et une indication de la prisée faite par des experts y est précisée. A partir de 1843, les mariages furent l’occasion d’attribuer officiellement des patronymes aux esclaves auparavant désignés, pour la quasi totalité, par des prénoms tirés du calendrier chrétien ou de la littérature classique. Cette attribution arbitraire montre la volonté de Mme DESBASSAYNS de donner une identité française à ses esclaves mais aussi de les ancrer dans la foi catholique.

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Le seul indien…

Le seul indien, « Ozone, Indien, Soixante sept ans, cuisinier, estimé mille francs », témoigne du précoce métissage sur le domaine. On lui attribue la paternité de plusieurs enfants répertoriés comme créoles, car nés dans l’île. Tel est l’exemple de sa fille Léocadie qui reçut un patronyme indien signifiant « domestique », fonction qu’elle exerçait effectivement chez Madame DESBASSAYNS, et qui fut mariée à Paulin, fils de Véronique, une créole âgée de 71 ans.
« Paulin, créole, charpentier et sa femme Léocadie, domestique, invalide, et leurs 4 enfants : Marie-Gertrude, Pierre St Lys, Pierre Paulin et Alfred, le tout estimé à 6000 francs ». C’est certainement aussi en raison de son origine indienne que l’esclave dominique est décrite comme « malabare » :

L’esclave Dominique, décrite come « malabare »

Dominique, malabare, créole, âgé de 38 ans, charpentier, sa femme Daride, créole, âgée de 38 ans, pioche, leurs enfants Adèle, âgée de 14 ans, Marie Jeanne, 12 ans, Marie Laurencine 10 ans, et Marie Nathaie , 10 ans, estimés cinq mille francs »

tous logés au « camp Villèle »

Par ailleurs ces esclaves, suivis par des engagés étaient logés dans un ensemble de petites paillotes. Aujourd’hui, un grand nombre de leurs descendants habitent encore ce village nommé « camp Villèle ». Le camp Villèle est par conséquent un lieu de mémoire et de métissage. Cependant le brassage de la population est si ancien dans ce village qu’il serait aujourd’hui impossible d’établir une répartition ethnique basée sur des critères patronymiques.

On y constate un véritable mélange culturel

Nous remarquons également qu’il n’y a pas de distinction entre les communautés dans le camp Villèle mais plutôt un véritable mélange culturel. La présence de l’hindouisme n’a pas entraîné le rejet du catholicisme et d’ailleurs, aujourd’hui, un grand nombre d’habitants ont une double appartenance religieuse. Cela résulte tout d’abord de l’attitude de Mme DESBASSAYNS, qui, après la mort de son mari, prit soin de ses esclaves en leur donnant une éducation, notamment religieuse. Ainsi, en témoigne la construction en 1843 de la chapelle pointue sur son domaine dans laquelle les mariages entre esclaves furent fréquemment célébrés à partir de cette date. Le catéchisme aussi leur était enseigné dans des salles que Mme DESBASSAYNS avait mise à disposition. Le domaine devenait donc un centre de diffusion de la religion catholique qu’on imposait à toute la population esclave, puis engagée qui lui a été rattachée, malgré les fonds culturels et religieux que les premiers esclaves d’Afrique, de Madagascar, et d’Inde possédaient à leur arrivée à la Réunion. A cette époque, évangéliser les esclaves était un devoir important des colons. En 1860, Henri Frédéric de Villèle installa également une statue de la Vierge rapportée de France. Cependant, par la suite, les cultes se déroulant au camp Villèle s’adresseront aussi bien à la Vierge qu’aux déesses Marliémin et Karli (avec la fondation de la chapelle « La misère »
en 1967 à l’intérieur du Camp) qu’aux St Michel et St Expédit tous 2 assimilés par certains à Karli) ainsi qu’aux ancêtres.

La maison de la famille Panon Desbassayns peut être considérée comme un lieu de résidence typique des riches propriétaires de l’époque mais aussi comme un lieu de rencontre entre les cultures provenant de l’Europe occidentale, de l’Ine, de l’Afrique et de Madagascar. Cette interculturalité se retrouve aujourd’hui au « musée de Villèle », au camp du même nom et plus évidemment à travers la diversité culturelle réunionnaise.

Mylène Catouaria

sources bibliographiques :
Miranville A, Villèle village réunionnais, 2001, ed L’Harmattan
Revue l’Oeil, hors-série Avril 2004, ed Artclair
Testament de Mme Desbassayns de 1845
Recueil de documents et travaux inédits pour servir à l’histoire des iles françaises de l’Océan Indien, 3e série n°3 Archives Départementales de la Réunion. Juillet 1978

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